Témoignage de Marcel BERNIER Depuis juillet 1941, je travaillais à la gare de Concarneau (Finistère). Je vivais seul, éloigné de mes parents, qui habitaient Fougères (Ille-et-Vilaine) à quelques 250 km. Il fallait saboter la machine allemande intelligemment. j'étais de la classe 42. Il me fallait d'abord devenir réfractaire STO. Dès que je fus désigné pour partir en Allemagne, mon inspecteur SNCF de Quimper me mit en relation avec M.CORBIER, qui dirigeait, à Quimper, le bureau des départs STO et volontaires de la Feldgendarmerie. En réalité, il réussissait à camoufler de nombreux jeunes patriotes. Avec la complicité du Dr PIRIOU, qui me fournit un faux certificat de maladie, M. CORBIER annula ma feuille de départ en Allemagne et délivra des sursis successifs, qui me permirent de travailler à la SNCF. En janvier 1944, N. A., inspecteur à Quimper, me fit savoir que M. CORBIER venait de prendre la fuite, emportant de précieux documents. Donc plus de sursis et ce que ces "messieurs" appelaient la "filière" découverte. Tous les porteurs de la carte de sursis signée CORBIER étaient activement recherchés. J'ai aussitôt quitté mon lieu d'emploi. par le dernier train, je regagnais mon domicile à Fougères. Dans la nuit du 23 au 24 février 1944, j'étais arrêté par la Feldgendarmerie. le lendemain matin, j'étais dirigé sur la Gestapo à Rennes et interrogé. je montais dans la voiture, menottes aux mains, qui m'envoyait à la prison J. Cartier... Il faut avoir vécu ces mois d'attente pour comprendre la profondeur de désarroi des internés. Le 3 août 1944, très tôt le matin, après appel des noms, les détenus ont reçu quelques vivres pour le voyage. Nous sommes rangés 5 par 5 dans le couloir de la prison et à travers les rues de Rennes, nous atteignons le lieu d'embarquement. Des wagons à bestiaux nous attendent: 40 détenus par wagon et 5 à 6 sentinelles, qui s'assoient sur un banc de chaque côté des portes, mitraillettes portées. Le train est parti...pour Redon. Là, arrêt prolongé, puis assez tard, départ vers Nantes. A cause de l'avance alliée, nous ne pouvons passer par Paris. Arrivé à Nantes, le convoi s'arrête à nouveau. Alertes continuelles. La nuit, nous reprenons notre route vers Angers. A Saint-Mars -du-Désert, le maquis attaque, permettant quelques évasions. ces évasions réussies ont été suivies d'assassinats. Après un long moment de fusillade, le train repart vers Saumur. En plein campagne, nouvel ,arrêt, quelques coups de feu et le train redémarre. Dans l'après-midi, le train atteint Langeais. Les ponts étant coupés en aval, impossible d'aller plus loin. Beaucoup de camarades sont en piteux état: torturés avant le départ, manque d'hygiène, malnutrition. Nous étions tous entassés, sans air, sans eau, avec une tinette par wagon, le tout dégageant une odeur repoussante... Tout à coup, le son des sirènes retentit. Un camarade parachutiste me dit:"...les Alliés vont mitrailler le convoi. Garde le moins de choses sur toi et vas le plus près possible de la porte. Je te suis, tiens toi près à sauter. c'est notre seule chance..." Je tire ma chemisette et je reste en short. Un premier avion pique sur l'avant du convoi et mitraille... Les Allemands ouvrent la partie de mon côté pour sauter et se mettre à l'abri. Je saute en même temps avec un jeune Juif. Nous nous tenons la main. A ce moment, un 2ème avion en rase-motte et mitraille... La main d'un ami se desserre et il tombe la tête en avant sur le ballast dans une mare de sang. pour lui, c'est fini... Et moi, hébété, je reste là au milieu des voies. Je cours, je monte un remblai, traverse un champ et me dirige vers le bois que je vois en face de moi. Arrivé dans les bois, j'entends des balles, qui me sifflement aux oreilles. Les Allemands commencent les poursuites. Je repars à travers les ronces et les broussailles. Je cours jusqu'au moment où mon coeur s'arrête. J'ai beaucoup de mal à reprendre ma respiration. mais les coups de feu se rapprochent et je repars. J'arrive dans une clairière, j'entends la voix de Raymond, copain de cellule, caché par un vieux plan de vigne. Et c'est le bohneur de se retrouver vivants... Viens par là, plus loin, c'est la Loire. Nous allons traverser et nous sommes sauvés. J'ai du mal à la suivre. Il nage bien. Arrivé aux 3/4 du fleuve, je n'en puis plus...Il revient vers moi, me soulève un peu la tête hors de l'eau et m'emmène à 20/30 m plus loin. Puis me prenant par la main, il se tire énergiquement vers l'autre rive sous la fusillade de l'ennemi... De l'autre côté, nous retrouvons deux autres camarades qui sont qui sont aussi passés. Alors nous nous dirigeons tous les quatre vers le premier village. Comme nous l'apprenons, il s'agit de Vallères. Et, nous voilà chez l'habitant. Les vêtements arrivant, la nourriture aussi... le bon vin. Un coiffeur nous coupe les cheveux, puis lavage. le soir venu, un agent de liaison d'un maquis proche, le Sanglier, nous envoie de nuit dans une ferme, qui nous recueille. Nous couchons dans la grange, dans la paille et nous sommes libres. Après plusieurs jours à la ferme, nous regagnons le Corps-franc, La Tour d'Auvergne et la guérilla commence... Un jour de septembre, je suis rapatrié par la Croix Rouge sur la caserne d'Angers où je passe un jour, puis sur Rennes, qui me renvoie, pour me soigner dans mes foyers à Fougères.
Source: Témoignage de Marcel Bernier |
22/02/2019