étaient
lancés à la-poursuite du train pour délivrer les prisonniers rennais.
Mais les tueurs russes étaient en force et les assaillants durent se
replier avec des pertes.
A Nantes, à Angers, le convoi s'était allongé des prisonniers civils
de ces deux villes, ainsi que de ceux de Laval; au Lion-d'Angers, on
avait accroché deux wagons de prisonniers américains.
Traîné par deux énormes locomotives, le train s'étire sur une
longueur formidable, hypocritement protégé par quatre drapeaux blancs,
tout juste grands comme des mouchoirs de poche. Les cheminots, nos
braves cheminots français, imaginent toutes sortes de retard, inventent
les obstacles les plus inattendus pour retarder la marche de cette geôle
sur rails, mais les chauffeurs et les mécaniciens étaient allemands et
comme on dit, avaient feu ailleurs que dans le foyer...
Au Lion-d'Angers pourtant, le train, après avoir roulé toute la nuit,
se retrouvait au petit matin à la gare de départ..., un sabotage l'avait
contraint à faire presque du surplace.
Le voyage avait été prévu pour trois jours. À Nantes, se fit la
première distribution, les prisonniers touchaient une boule pour trois,
le lendemain une boule pour sept, le surlendemain une boule pour onze
puis après plus rien ou presque rien. Pourtant. il fallut attendre que
ces messieurs de l'escorte eussent leur musette complètement vide pour
qu'ils laissent approcher. dans l'espoir de profiter de l'aubaine, les
représentants de la Croix-Rouge, du Secours National, ou les civils
apportant quelque ravitaillement. Partout, au Lion-d'Angers surtout, la
population fut admirable de générosité et de dévouement, nous assure M.
Heurtier. le regard embué de reconnaissance.
A Langeais, à 30 Kilomètres de Tours, le train qui n'était même plus
signale, subit un violent mitraillage; les Allemands se terrèrent, les
détenus se faufilèrent dans un bois. La tornade passée, chassés de leur
abri par des coups de feu ils furent accueillis à leur rentrée dans les
wagons par des rafales de mitraillettes et les Américains, révoltés,
vaillamment se battirent contre leurs brutes de gardiens avec les
pierres du ballast.
35 kilomètres à pied
La voie était coupée, les prisonniers, nommes et femmes, les plus
résistants portaient à dos les plus fourbus, poussés comme du bétail,
durent rejoindre la gare de Saint-Pierre-des-Corps, distante de 35
kilomètres. Pour avoir protesté contre ce traitement inhumain, M.
Heurtier fut marqué au crayon rouge. Apres un piétinement d'une journée,
le voyage se poursuivit en hoquets, par Vierzon. Bourges, Nevers,
Moulins. Dijon, Besançon, Vesoul. le train constamment dérouté sur des
voies perdues.
Le 15 août, à leur arrivée a Belfort les prisonniers étaient parqués
au Fort Harty, à cinquante mètres de la voie ferrée, par paquet de 72
dans des chambres prévues pour vingt-quatre.
Les dossiers disparus, la Gestapo en fuite, on les ont passer devant
une sorte de Conseil de guerre, composé d'un officier et des gardiens,
furent libérés, jour après jour, les détenus politiques à l'exception
des gendarmes, des officiers et de ceux qualifiés de terroristes.
Jetés sur le pavé, en pleine déroute allemande. les " libérés"
s'acheminèrent vers Giromagny, à 15 kilomètres au nord de Belfort où un
camp avait été aménagé à leur intention.
Nantis par la Croix-Rouge d'un viatique de 500 francs, certains dont
M Heurtier, poursuivirent leur voyage vers Dijon où ils rencontrèrent
enfin l'armée libératrice du général de Lattre de Tassigny.
Dijon, Paris. Rennes, ils ne sentaient pas leurs pieds meurtris, leur
estomac rétrécis et tiraillé au régime des 150 grammes de pain par jour
ils étaient libres, en route vers un pays libre ; la routa est, belle.
Pourtant ils revenaient de loin, de très loin avec la mort pour compagne
de route et des brutes pour mentors. Que la joie du foyer retrouvé leur
fasse oublier leur tragique calvaire, où pour comprendra la générosité
de leur sacrifice, il eut fallu les suivre pas à pas.
Pierre CRESSARD
P. S — Deux autres libérés de Belfort, M. Charles Barder. de Rennes
et M. Le Monnler, pharmacien à Guingamp. nous ont rapporté une liste de
libères, restés à Giromagny. Nous publions ces noms dans nos éditions
respectives.