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UN AVIATEUR AMÉRICAIN

À MARTIGNÉ-FERCHAUD ET À ÉANCÉ

           Pour enrichir la mémoire du passé, nous recherchons des témoignages ou des documents sur la résistance en Ille-et-Vilaine

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Originaire de Columbus dans l’état de l’Indiana aux Etats-Unis, Harry Boegaholz, issu d’une famille de fermiers, est âgé de 22 ans lorsqu’il s’engage le 15 mai 1941 dans l’U.S. Air Force. Après sa formation militaire, il rejoint l’Angleterre en avril 1943 à bord d’un bombardier en compagnie de Clark Gable, le célèbre acteur de cinéma. 

Au sein de la 8e U.S. Air Force, il est affecté au 96e groupe de bombardement, plus précisément dans le 337e escadron, et obtient le poste de mitrailleur de queue à bord de la forteresse volante Boeing B-17 n° 42-3042, baptisée « Cabin Heater ». Le terme de forteresse volante est justifié par son armement défensif à savoir douze mitrailleuses de12,7 mm et une de 7,6 mm.

Le 29 mai 1943, le 8e corps de bombardement américain ordonne une offensive d’envergure sur Rennes avec pour objectif les entrepôts de fournitures navales de la marine allemande situés route de Lorient à Rennes. Cinquante-sept bombardiers déferlent sur la capitale bretonne. Harry Boegaholz, devenu sergent, effectuant sa septième mission,  a pris place à l’arrière du B-17 « Cabin Heater ». Parmi les dix membres d’équipage, le copilote, Ernie J. Dickenson vient d’avoir 20 ans.

 

Aux environs de 16 heures, après avoir largué ses bombes sur Rennes, le quadrimoteur est touché par des projectiles de la puissante défense anti-aérienne allemande (Flak) disséminée dans la périphérie rennaise. Simultanément, des chasseurs ennemis de la Jagdgeschwader 2 (2e escadron de chasse) basés dans l’Eure, mitraillent le grand oiseau blessé qui perd de l’altitude en direction du bourg de Saint-Gilles au nord de Rennes[1]. Des témoins oculaires verront trois aviateurs sauter en parachute. La spirale de l’appareil libérant une épaisse fumée, est irréversible. Avant de s’écraser sur le sol de la commune de Clayes au lieu dit la Haie-Robert, il heurte une ligne à haute tension provoquant une terrible explosion. L’avion est littéralement désintégré. Les corps des aviateurs restés dans l’appareil sont déchiquetés, mêlés aux débris fumants de leur machine[2].

 

Le lieutenant Edwin A. Martin et le sergent Arthur Shilo, deux des trois aviateurs parachutés, sont aussitôt capturés par les soldats allemands dès leur arrivée au sol. Ils seront transférés en Allemagne. Le troisième, le sergent Harry Boegaholz, chute dans un arbre, lui causant une fracture du nez et une blessure au bras ; il est rapidement secouru par des agriculteurs qui lui remettent des vêtements civils et le soustraient aux recherches de l’occupant. 

Après avoir été soigné par un médecin de la région, Harry, sympathiquement surnommé « Bill », est pris en charge par la résistance rennaise. Au début du mois de juillet, Jean Richard, étudiant en notariat à Rennes, chef du secteur de Martigné-Ferchaud pour le réseau Oscar Buckmaster, est sollicité par ses camarades de l’ombre, dont Pierre Morel et Guy Fontaine, pour héberger ce jeune américain dans l’attente de son éventuel transfert en Angleterre. Intrépide, Jean Richard accepte de conduire « Bill », en lieu sûr, tout d’abord chez Mme veuve Angèle Misériaux, agricultrice à la Haye-Veillette, lieu-dit proche de la commune de Coësmes, où il restera quelques jours. 

Les risques sont énormes car la loi allemande est sans appel : « toute personne du sexe masculin qui cacherait un aviateur sera fusillée sur le champ (…) Les femmes qui se rendraient coupables du même délit, seront envoyées dans les camps de concentration situés en Allemagne ». 

Harry Boegaholz quitte la Haye-Veillette avec Jean Richard qui l’achemine chez ses parents, Émile et Maria Richard, domiciliés rue Valaise, en face de la brigade de gendarmerie. La présence allemande dans l’agglomération martignolaise n’est pas négligeable. 

Quinze jours plus tard, « Bill » est à nouveau déplacé au domicile de la famille d’Ernest Martin, rue de Châteaubriant, dont le fils Marcel adhère au même réseau. Leurs plus proches voisins, occupant la « villa Bonne Brise » située à 100 mètres, ne sont autres que des soldats de la 13.Kompanie Luftgau-Nachrichten-Regiment Westfrankreich dépendant de la Luftwaffe (armée de l’air allemande), basée à Rennes-Saint-Jacques, chargés de la surveillance aérienne et du renseignement. Il faut donc redoubler de prudence.            

Par précaution, Harry est accueilli durant deux semaines rue Courbe dans la demeure des parents de Louis Boulay, réfractaire au S.T.O. (Service du Travail Obligatoire). Jean Renaud, tailleur de métier, en profite pour lui confectionner un costume car, il est vrai, « Bill » mesure 1,85 mètre. Difficile de passer inaperçu !

Harry Boegaholz en compagnie de Marcel Martin
 à Martigné-
Ferchaud

(Collection D. Jolys)

Harry Boegaholz au milieu de la famille Bannetel à Éancé

(Collection D. Jolys)

 

Harry va donc quitter Martigné-Ferchaud car une nouvelle famille l’attend dans le bourg d’Éancé situé à quelques kilomètres. M & Mme Auguste Bannetel n’ont pas hésité à le prendre dans leur petite maison. Jean Richard connaît leur patriotisme. Leur neveu, Henri Bannetel, interne en médecine à Rennes et résistant, a été fusillé au Mont Valérien le 15 décembre 1941. La discrétion est primordiale. Le jeune aviateur ne sort que la nuit pour se dégourdir les jambes, bien encadré par des proches de la famille Bannetel dont Fernand Moutel et l’abbé Le Hérissé, vicaire à Éancé. 

Vers la mi-août 43, le capitaine François Vallée, alias Franck, chef du réseau Oscar-Buckmaster, se déplace personnellement à Éancé avec Jean Richard pour annoncer à Harry son départ vers le Morbihan. Cet officier est en relation avec une autre organisation clandestine de la région de Ploërmel dirigée par le capitaine Émile Guimard. Ce dernier recueille de nombreux aviateurs alliés et des résistants traqués par l’ennemi avant de les exfiltrer vers l’Angleterre ou l’Espagne. Au cours de la nuit suivante, Harry est donc remis à Bernard Dubois, étudiant rennais, chef du groupe Oscar Buckmaster de Châteaubriant, avec Marcel Letertre. 

Émile Guimard de Lizio, membre du réseau « Action », a organisé un véritable centre d’hébergement et on lui envoie des aviateurs de toute la Bretagne. Des résistants de ce réseau les prennent en charge en divers lieux convenus à l’avance. C’est le cas de Raymond Guillard, également de Lizio, qui se souvient d’un déplacement à Châteaubriant en 1943 pour récupérer trois aviateurs américains. Il était en  compagnie d’Émile Guimard et d’Henri Tanguy conduisant une camionnette Citroën « 11U Boulangère » appartenant aux demoiselles Malard de Plumelec. Effectivement, dans cette même période, le groupe de Châteaubriant hébergeait deux autres aviateurs américains, James S. Wilschke et Robert Neil, dont leur forteresse B-17 a été abattue le 17 mai 1943 à Brec’h dans la région d’Auray (Morbihan).  

Harry Boegaholz changera régulièrement de refuges dans le secteur de Ploërmel. Il sera photographié par Jean Lecoq du Roc-Saint-André, ami de Raymond Guillard, pour la réalisation de sa fausse carte d’identité. Au cours d’un de ces déplacements, avec deux autres compatriotes, il se cache dans une charrette de foin alors que survient une patrouille allemande. Malgré les vigoureux coups de fourche plantés dans le fourrage, les trois aviateurs ne seront pas découverts. 

Mais le temps passe, il faut évacuer les aviateurs vers Paris où ils seront pris en compte par un autre réseau d’évasion vers l’Espagne. 

En décembre, Harry muni de ses faux papiers d’identité, rejoint Paris à bord d’un train où se côtoient civils et soldats allemands. Sa plus grande crainte est de se faire contrôler et d’être interrogé en français. Alors il se contente de suivre son guide à distance conformément aux consignes des organisateurs.  

Le 17 décembre 1943, Harry se rend à un rendez-vous près de l’église de Pantin où une dame, portant un chapeau bleu, le prendrait en charge. En réalité, il se trouve mêlé à un groupe d’aviateurs composé de dix-sept Américains, douze Britanniques et deux ou trois Polonais. Ils sont rassemblés sur la place d’un marché essayant de se confondre avec la foule. La résistance a planifié un important départ vers l’Espagne. Ce regroupement ne passe pas inaperçu puisque soudain, un fourgon et une voiture s’arrêtent à leur hauteur, des hommes armés de pistolets et de mitraillettes en descendent. La filière a été dénoncée à la Gestapo. Tous les aviateurs, ainsi deux Français, sont arrêtés et alignés contre le mur. Comme ses camarades, Harry croit vraiment sa dernière heure arrivée. Mais il n’en est rien, après avoir été fouillés, ils sont tous emmenés à la prison de Fresnes.  

Harry Boegaholz est interrogé brutalement par les Allemands qui veulent connaître à tout prix son itinéraire sur le sol de France, le lieu et le nom de ceux qui l’ont hébergé, mais en vain. « Ils n’étaient pas tendres » dira-t-il plus tard à sa famille en montrant sa cicatrice sur la joue, séquelle d’un coup de crosse de pistolet. Il passe donc Noël 1943 en cellule avec deux autres détenus français. Un mois plus tard, il est transféré au centre d’interrogatoire de la Luftwaffe à Oberursel, près de Francfort où il est à nouveau questionné sur son passé. Quelques jours après, il est dirigé vers le stalag 17B à Krems en Autriche, un camp de prisonniers de guerre réservé aux aviateurs des armées alliées.

Le 8 avril 1945, en raison de l’avancée de l’armée rouge, les 4 000 prisonniers du stalag 17B sont déplacés à pied, à plus de 350 kilomètres vers l’ouest, dans la région de Braunau, lieu de naissance d’Adolf Hitler. Le 3 mai suivant, la 13e division blindée US du Major Général John Millikin libère tous les prisonniers. Une semaine plus tard, Harry est évacué par avion vers la France avant d’être rapatrié aux Etats-Unis où il retrouve sa famille à Columbus. 

Après la guerre, il deviendra chauffeur de poids-lourd, se mariera en 1953 avec Thelma Daugherty avec qui il aura un fils. 

Son vœu le plus cher était de retourner en France pour revoir tous ceux qui l’avaient aidé au péril de leurs vies. « Ils étaient vraiment formidables » déclara-t-il à son entourage. Mais le destin en a décidé autrement, il s’est éteint en novembre 1962 à l’âge de 43 ans.

 

 Daniel Jolys

2012 complété en 2015


Sources :

- Documentation et photographie de l’équipage : Jean-Paul Favrais de Bréal-sous-Montfort et ABSA
- Raymond Guillard de Lizio (56)
- Divers témoignages recueillis par Daniel Jolys
- Articles de la presse américaine (1945) transmis à D. Jolys par la famille d’Harry Boegaholz
 

[1] - Selon les recherches entreprises par l’Association Bretonne du Souvenir Aérien (ABSA), le B-17 « Cabin Heater » est revendiqué à 16h15 par le Hauptmann Helmut Bolz du  Stab I./JG 2 entre 10 et 15 km, au Nord Ouest de Rennes.

[2] - Le bombardement du 29 mai 1943 fut une tragédie : 210 Rennais tués. Six forteresses américaines ont été abattues par la DCA et la chasse allemande entraînant la mort de 33 aviateurs, 25 furent prisonniers et 7 réussirent à s’évader.

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 Dernière mise à jour: 20/01/2016