A
Saint-Hilaire-des-Landes, on se rappelle des Loizance, bourreliers. On se
souvient surtout de Raymond, le fils, installé à Fougères et qui sera
décapité à Munich le 21 septembre 1943, avec plusieurs de ses camarades du
groupe de résistants Gallais. En 1942, au 3 rue des sources à
Saint-Hilaire-des-Landes, une petite baraque en bois et briques, aujourd'hui
disparue,
s'appuie sur la maison de pierre. C'est l'atelier du bourrelier, Francis
Loizance ; il est également fossoyeur. Dans la famille, on est bourrelier de
père en fils. Michel, son père, exerce à Saint-Marc-le-Blanc; Francis son
oncle fait le même métier à Saint-Marc-sur-Couesnon.
Francis épouse Anne Coudray. Mme Loizance est couturière et vend
l'Ouest-Éclair.
Francis et Anne Loizance ont sept enfants dont
Francis, Maurice, Raymond, Madeleine, Suzanne, Marie. Raymond Loizance est
le troisième enfant de la fratrie. Né à Saint-Hilaire-des-Landes le 16
octobre 1919, il fréquente l'école primaire catholique.
Acte de naissance et de décès de Raymond Loizance, avec la mention "Mort
pour la France"
(Archives Municipales de Saint-Hilaire-des-Landes).
Michel Guérinel1 , se souvient de son cousin Raymond
Michel Loizance était bourrelier à Saint-Marc-le-Blanc. Lors des fêtes de
famille ou à la Saint-Michel, il invitait ses enfants et petits enfants.
C'est ainsi que Michel Guérinel, né en 1922 et Raymond Loizance né en 1919,
cousins germains se sont retrouvés à Saint-Marc-le-Blanc chez leur
grand-père, Michel Loizance.
Le poids de 14/18
Chez les Loizance, on cultive la mémoire de la guerre des tranchées et la
haine du "boche". A la maison, chez le grand-père, chez les oncles, photos
de poilus et médailles militaires sont à l'honneur. Le climat est exacerbé,
exceptionnel. Les conversations sont nourries des faits de guerre et de la
victoire de 1918. Les réunions d'anciens combattants sont nombreuses. Le
dimanche après-midi les anciens poilus se réunissent et se remémorent les
histoires de tranchées.
Du coté français comme du coté allemand, le conflit couve. Le traité de
Versailles est une humiliation pour le vaincu de 14/18, qui naturellement
rêve de vengeance. Avec cet esprit de revanche, le patriotisme reprend ses
droits. Il faut se tenir prêt. Pour les anciens de la Grande Guerre, il
n'est pas question de perdre ce qui a été si durement acquis et surtout de
voir l'allemand fouler le sol français. La liste des victimes figurant sur
le monument aux morts de chaque commune est là pour leur rappeler.
Raymond grandit dans cette ambiance, bercé de faits de guerre et de
sentiments patriotiques très forts.
Conseil de révision
Au conseil de révision, ne pas être retenu est synonyme de catastrophe :
l'image de l'homme en serait écornée. Le service militaire représente trois
années avec les périodes de réserves. Mais pour les jeunes, ces années
signifient voyages et découvertes diverses à des périodes où on ne
s'aventure pas plus loin que la commune voisine.
Endosser l'uniforme est un prestige
Michel Guérinel poursuit : "j'étais en admiration devant mon cousin Raymond,
mon aîné de trois ans, et particulièrement lorsqu'il s'est présenté à nous
en uniforme de sous-officier lors d'un repas de famille. Sa présence en
uniforme regonflait notre fibre nationaliste. Il nous encourageait à suivre
son parcours. Patriote extrêmement convaincu, il s'est naturellement engagé
dès que son âge le lui a permis. Le métier de bourrelier appris avec son
père n'a été qu'une période d'attente. Il a fait la fierté de son père, de
ses oncles et de son grand-père. Il a été sensible à leur vécu, à leurs
témoignages."
1939 La Drôle de Guerre
Les gouvernements redoublent de propagande. Partout fleurissent les grandes
affiches : "Nous vaincrons car nous sommes les plus forts" ou "Méfiez-vous,
des oreilles ennemies vous écoutent". A Saint-Marc-le-Blanc aussi, les élus
sont convaincus que la guerre ne durera pas plus de quinze jours.
La France a sous-estimé la puissance allemande et le pacte de non agression
entre l'Allemagne et la Russie, vont changer le cours des choses.
1940 La débâcle
Les Allemands déferlent sur la France. Cette même année, une grande majorité
de français qui ne veut pas revivre les sacrifices de 14/18 partage la
position de Pétain. Pour Raymond comme pour tous les jeunes de sa
génération, la guerre va être de courte durée. Sous-officier de carrière, il
est fait prisonnier à Belfort en 1940 mais s'évade très tôt. Parti de
Düsseldorf, il traverse la Hollande et la Belgique, passe la frontière et
parvient à regagner Fougères où il décide d'entrer en résistance.
Entrée en résistance.
Raymond
Loizance se rend directement à la conciergerie du château de Fougères où il
rencontre René Gallais, chef du groupe de résistants. Celui-ci l'héberge
pendant un mois et lui fournit une fausse carte d'identité au nom de Raymond
Harvois. Avec Frémont, chef du groupe de Saint-Brice-en-Coglès et Rochelle
de Saint-Ouen-des-Alleux, ils rejoignent le groupe Gallais pour constituer
le réseau "Ceux de la Libération".
On lui trouve un emploi à l'usine de chaussures Morel où il travaille
clandestinement. Il habite Fougères, rue Nationale, à l'angle de la rue de
l'horloge, au dessus du café de Germaine Michel.
C'est à Fougères, en cette année 1943, que Michel Guérinel voit son cousin
Raymond pour la dernière fois. "Il ne mesurait pas le risque encouru. Il ne
faisait rien pour se cacher, il était culotté", commente Michel Guérinel.
C'est dans le cadre de l'opération Porto, une grande rafle organisée par les
Allemands, que le groupe Gallais, est démantelé et Raymond arrêté et
déporté.
Jugé et condamné à mort, il est décapité par les nazis le 21 septembre 1943
à Munich à 17h08. Il avait 24 ans.
Avant son exécution, il écrit cette lettre bouleversante :
Mon cher vieux camarade,
Après la dure punition que nous a infligé le tribunal et que tu
as dû apprendre déjà, la peine de mort pour tous les douze
accusés et le jugement sans appel aussi je veux t'écrire une
dernière lettre pour te demander quelque chose. Mon cher André,
quand tu seras libre, tu retourneras en France et aussi puisque
tu as bien voulu l'accepter déjà, chez mes parents. Je n'ai pas
besoin de te dire ce que tu dois leur dire, tu trouveras cela
tout seul. Pourtant quelque chose tout de même : tu leur diras
que tu m'as connu, que nous avons souffert et espéré ensemble,
tu leur diras que j'ai fait tout ce que j'ai fait pour ma
Patrie. Tu leur diras que je suis mort sans regret aucun et que
si je souffre en ce moment dans mon cœur, c'est seulement parce
que je sais l'horrible peine que leur causera ma mort. Tu
embrasseras mon vieux papa et ma vieille maman et tu leur diras
de te regarder dans tes yeux où j'ai laissé mon dernier regard,
tu leur diras ainsi qu'à mes frères et sœurs que la plus belle
mort, c'est de mourir pour sa Patrie et que je ne regrette rien
de ce que j'ai fait, que seulement toute la peine que je leur ai
causé et que leur cause encore. Tu diras encore que je voudrais
si cela est possible qu'on ramène mon corps en France après la
guerre et qu'on l'enterre dans le cimetière de mon patelin pour
qu'il repose dans le sol de ma chère Patrie que j'ai tant aimé
et pour qui je
mourrai demain, pour l'avoir tant aimée. Tu leur diras qu'ils
n'oublient pas de réclamer ma solde de sous-officier d'active au
centre de recrutement de Rennes où elle s'est amoncelée depuis
le début de ma captivité. Tu leur diras qu'ils disent à tous mes
amis de St Hilaire et de Fougères que j'ai eu une dernière
pensée pour ceux-là qui m'ont connu et qui avaient de
l'affection pour moi. Tu leur diras qu'ils prennent toutes les
adresses que j'ai dans mon carnet à la maison et qu'ils écrivent
à ces adresses, ma mort comment je suis mort et pourquoi je suis
mort.
Tu leur diras aussi qu'ils avertissent mes vieux camarades
presque des frères : Amand Duhamel, Emile Tourneux, Eugène
Bertel, Pierre Constant et aussi mon camarade de
Thaon-les-Vosges, Marcel Charton I Cité Valentin,
Thaon-les-Vosges (Vosges).
Et aussi le restaurant Michel à Fougères où je prenais pension
et le café des Bons Amis dans la même rue (Rue...........)
Et maintenant, j'ai fini, mais dit à tous mes vieux camarades de
la prison tout ce que je ne peux pas leur dire, Fambach, Schelch,
Stock, tes deux camarades de cellule, à tous les jeunes qui
travaillent avec toi. Maintenant, cher vieux André, il ne me
reste plus qu'à souhaiter que notre mort n'aura pas été inutile
et que tu pourras encore vivre de beaux jours avec ta famille
dans notre chère Patrie enfin libre.
Mon vieux, je te serre les mains bien fort et je t'embrasse en
vieux copain.
R. Loizance
P.S. J'espère pouvoir te donner
ce billet en allant à la promenade, j'ai parlé au directeur ce
matin et j'ai la permission d'aller à la promenade à la
condition de ne parler à personne. Tu déchireras ce billet après
en avoir fait un résumé car si on le trouvait sur toi cela
pourrait t'attirer des ennuis.
Vive la France, Vive la
Liberté
L'adresse de mes parents:
Francis Loizance à St Hilaire des Landes (I-et-V)
Le président du tribunal m'a félicité ainsi que la famille
Gallais pour la franchise et l'héroïsme (Il a dit l'héroïsme)
dont nous avions fait preuve dans nos déclarations.
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Après son arrestation, la famille est restée
deux ans sans nouvelles. Quelques temps après la fin de la guerre, une
manifestation a eu lieu à Saint-Hilaire-des-Landes en présence du
sous-préfet pour commémorer le sacrifice de Raymond Loizance. Sa disparition
a été vécue très difficilement. Bien sûr il a fait son devoir, mais les
Allemands l'on tué. Le sentiment antiallemand s'est de nouveau renforcé.
Extrait de la lettre de Raymond Loizance
Sa mémoire figure sur le monument aux
morts de Saint-Hilaire-des-Landes. Son corps repose dans le monument des
victimes du groupe Gallais rapatriés dans le cimetière de Fougères le 11
novembre 1950.
Cimetière de Fougères :
"Ils ont donné leur vie pour notre Liberté"
Stadelheim 21 sept 1943 Raymond Loizance.
Photo ACL
De gauche à droite en haut :
Antoine Pérez (25 ans), Raymond Loizance (24 ans), Louise Pitois (41
ans), René Gallais (51
ans), François Lebossé (42 ans)
De gauche à droite en bas : Jules Rochelle (45 ans), Marcel Pitois (31
ans), Jules Frémont
(52 ans), Louis Richer (20 ans), Joseph Brindeau (23 ans).
D'après les témoignages de Huguette Gallais, Michel Guérinel et le texte
d'inauguration du
square René Gallais à Fougères.
1 Ancien maire de
Saint-Brice-en-Coglès "Entre Everre et Minette" N°11
Document "Entre Everre et Minette" n°11 Années 39/45 (6,9Mo Fichier
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