L'année
1943 marque une étape importante de la Résistance dans le
pays de Fougères. Des noyaux de résistance se constituent,
reposant sur trois piliers. Celui de Fougères a pour chef
Thérèse Pierre, épaulée par Léon Pinel et Pierre Lemarié.
Son champ d'action s'étend sur la ville de Fougères.
Rapidement se forment trois noyaux de résistance : Gosné,
Saint-Brice-en-Coglès et Louvigné-du- Désert. Par mesure de
précaution, dans la Résistance, on travaille par trois et on
ne connaît les uns des autres que le nom légal et l'adresse,
protégeant ainsi le réseau qui ne pouvait être démantelé en
cas de torture. On ne donnait que le nom des deux autres.
Une enfance et une jeunesse difficiles
Pierre Lemarié est né le 13 novembre 1898, à La
Chapelle-Saint-Aubert, dans une famille modeste de 10 frères
et soeurs. Il devient carrier et extrait du sable dans une
carrière près du cimetière de Lécousse et de la pierre à
Fontaine-La-Chèze. Son domicile est situé au 7, boulevard
Saint-Germain à Fougères. La guerre éclate, l'occupation
allemande se manifeste dans la vie quotidienne. Pierre
Lemarié s'engage dans un groupe du Front National du mois
d'août 1941 à septembre 1942, exécutant d'abord des tâches à
la base : rédaction et distribution de tracts. Ce résistant
n'est pas quelqu'un à se mettre en avant.
Quel meilleur témoignage que celui de Germaine Guenée
rapporté dans le récit de Claude Hunzingen : « Elles
vivaient d'espoir », paru en 2010 aux éditions Grasset !
L'amitié entre Emma, la mère de l'auteur et Thérèse Pierre,
future résistante Front National permet à chacune de
s'émanciper et d'affronter les orages d'une Europe sur la
voie de la guerre. Germaine Guenée affirme que Thérèse,
arrivée à Fougères comme professeur à l'EPS (Etablissement
Primaire Supérieur), rencontre, fin septembre 1942, « Pierre
Lemarié, de l'Internationale rouge sportive. Dix ans de plus
qu'elle. Petit de taille. Petits yeux noirs et vifs. Son
atout ? L'explosif. »
Les faits de résistance
Le triangle de direction, ciblé sur les trois communes
d'origine, s'élargit à une bonne partie de la campagne
fougeraise : Antrain, Tremblay, La Fontenelle, Bazouges-la-Pérouse,
Rimou, Saint-Hilaire-des-Landes et Lécousse. Le triangle se
réunit le dimanche pour confectionner les tracts différents
selon la ville ou la campagne. A partir de septembre 1942,
Pierre Lemarié prend la responsabilité de 15 groupes du
Front National de l'arrondissement. Son expérience
professionnelle lui permet de se lancer dans la fabrication
d'explosifs et la préparation d'attentats. Pierre Lemarié
utilise le dépôt de la carrière de Fontaine-La-Chèze qui
contient les détonateurs et la cheddite. Trois ou quatre
cartouches, un détonateur, une mèche de 2 mètres... et
l'engin est fabriqué, prêt à exploser et à détruire. Ainsi,
à Fougères, la permanence du Rassemblement National
Populaire de Marcel Déat, située près de la gare, est
plastiquée avec un engin de ce type. Autre exemple, à
Rennes : l'explosion d'une bombe, fabriquée grâce à
l'explosif fourni par Lemarié, contre le cinéma « le
Royal », lors d'une séance destinée aux Allemands. Enfin,
signalons le sabotage des freins du train allemand, dans la
gare de Fougères, le 11 novembre 1942. Ces actes de bravoure
incarnent une forme de résistance beaucoup plus active et
aussi plus risquée.
L'arrestation qui fait basculer une vie
La délation est chose courante en cette période trouble,
aux repères incertains. Aussi Pierre Lemarié est-il victime
d'une dénonciation au visage inconnu. Le 30 avril 1943,
Pierre Lemarié est arrêté près de la carrière de Lécousse
par quatre policiers des Renseignements Généraux de Rennes.
Leur perquisition a d'abord lieu à son domicile, après un
interrogatoire de sa fille. Rien de compromettant n'est
trouvé. Mais les policiers savent où aller l'arrêter.
Pierre Lemarié est alors enfermé à la prison de Fougères,
mêlé aux détenus de droit commun.
Jamais il n'avouera son appartenance au parti communiste ni
son activité de résistant. Lors du jugement à Rennes, il est
condamné à 1200 Francs d'amende et à deux ans de prison.
Cette peine sera exécutée à Rennes, Blois et Compiègne. A
l'issue de cette incarcération, il est conduit au camp de
concentration, le 27 avril 1944.
Auschwitz, le camp de la mort
L'arrivée au camp se déroule au soir du 30 avril. Vers
minuit, commencent les opérations déshumanisantes : tatouage
d'un numéro matricule- il devient le n° 185918-, puis départ
pour la salle de rasage et la douche. A la sortie des
baraques, des déportés polonais arrosent des fleurs,
certains camarades se jettent alors sur les récipients et
se les arrachent, en poussant des cris inhumains, et cela
malgré les chiens et les coups assenés par les SS. Le voyage
a été très éprouvant : quatre jours, presque sans boire et
sans dormir.
Les déportés se retrouvent parqués à 600 par baraque. Ils
couchent sur la terre, sans couverture, serrés les uns
contre les autres pour ne pas avoir froid. L'épuisement et
l'angoisse peuvent conduire à la frontière de la folie.
Pierre Lemarié a noté par écrit l'expérience d'un camarade
annonçant l'arrivée d'un débarquement. « Malgré la
surveillance étroite des Allemands, j'ai pu avoir des
nouvelles de France, les Anglais et les Américains ont
débarqué à Saint-Nazaire et à Lorient, marchant sur Paris,
d'autres ont débarqué sur Toulon et sont déjà arrivés à
Lyon. Et je demande au commandant « Untel » et au
curé « Untel »-je ne me souviens pas des noms, ce dernier
étant du département du Nord- de venir constater avec quel
appareil j'ai pu avoir ces renseignements. Les deux
camarades ont pu constater que c'était avec un bout de
ferraille que le camarade avait dans la main-qui
prétendait-il-lui avait permis de capter ces nouvelles. » La
démence guettait les déportés que l'expérience nazie
malmenait et déshumanisait à l'extrême.
La soif était le problème le plus dur. C'est souvent de
l'eau bouillie, à cause de la malaria. La soupe est servie
dans une gamelle pour deux, sans cuillère. Maigre pitance :
souvent pas de gamelle et certains devaient tendre leurs
mains et comme la soupe était trop chaude, ils étaient
obligés d'attendre deux jours pour manger.
Un spectacle horrible à Auschwitz
Peu de temps après leur arrivée, les déportés assistent au
déplacement d'un convoi de trois mille juifs roumains : des
personnes de tout âge, femmes, enfants, vieillards. Tous
sont dirigés directement au crématoire, pour être gazés et
brûlés. Pierre Lemarié avec ses camarades les voyait
attendre leur tour auprès du crématoire, à travers les
planches disjointes de la porte de la baraque. Cela dura
toute la nuit et Pierre Lemarié a toujours qualifié
Auschwitz de camp de la mort, car celle-ci était
quotidienne. Il y resta 14 longs jours, des jours très longs
et horribles.
Le camp de Buchenwald et le commando de Schönebeck
Le départ de ce camp a lieu avec beaucoup de malades,
épuisés par le séjour à Auschwitz. L'appel dure deux heures,
parfois sous la pluie. Les plus valides acceptent de porter
les jeunes, perclus de rhumatismes après avoir couché sur la
terre. Pierre Lemarié reçoit un autre matricule-le n° 53378.
Anonymat destructeur de l'humanité présente en chacun. Il
perçoit ce camp comme moins « mauvais, sans doute car les
responsables sont désormais des politiques. Pierre Lemarié y
reste 25 jours. Il est alors envoyé à Schönebeck à 180 kms
de Buchenwald. Les déportés travaillent pour le compte des
usines de Junkers.
La libération
Début mai 1945, les Américains arrivent pour libérer le
camp. Pierre Lemarié rentre à Fougères 10 mai 1945. Il y
apprend que son fils Pierre a été arrêté pendant son
absence et qu'il n'en a aucune nouvelle. Son métier de
carrier l'a habitué à la dure. Aussi a-t-il pu résister à
toutes ces horreurs.
Il reçut la croix du Combattant Volontaire 39-45, le 28 août
1969. Il devint Chevalier de la Légion d'Honneur, le 1er
février 1977, des mains de Charles Tillon, un ami qui lui
tenait à cœur, puis Officier, le 6 juin 1983. Il aura
toujours grand respect pour le calvaire subi par Neveu,
Lepenant et les deux Fontaine, père et fils.
Pierre Lemarié fils
Comment ne pas associer à la figure du père le beau
portrait de son fils ? Thérèse Pierre appréciait le père et
le fils Lemarié, selon les affirmations de Germaine Guenée.
Nous disposons de très peu d'éléments concernant le fils.
Il est né le 9 août 1918. Dans sa jeunesse, il s'est adonné
à des activités sportives comme la boxe. Il pratiquait ce
sport à Fougères.
Il a dû suivre son père dans la Résistance. Louis Pétri
certifie, en 1950, que Pierre Lemarié a participé à la
propagande anti-allemande par diffusion de tracts et de
journaux clandestins. Il a contribué à l'organisation de
plusieurs groupes F.T.P. Il a apporté son aide à la
fabrication de matériel de sabotage. Il est arrêté par la
SPAC, le 2 décembre 1943 à Fougères. Il est ensuite interné
à la prison Jacques Cartier à Rennes, où il est torturé,
puis il est transféré à Vitré, Laval, Angers et Compiègne.
Il est déporté à Dachau le 2 juillet 1944, date où il
disparaît. La question demeure: s'agit-il du camp ou du
train qui le conduisait à Dachau ? Le père ne devait jamais
revoir son fils qui avait été arrêté en son absence.
Sources :
* Notes manuscrites de Pierre Lemarié, père
*Témoignages de Madame Germaine Guenée, de Madame Lainé (née
Marie-Pierre Mentec) et de Madame Legros (née Marie-Claude
Mentec)
Daniel Heudré