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Sylvain Le Gall

Résistant déporté

 

 

Récit de mes souvenirs : Résistance et Déportation

 

Tout en restant travaillera la laiterie de Thil Canehan (76) et en famille avec ma mère et ma sœur cadette, j'ai participé aux activités du Front National de la Seine-Maritime, groupe de Criel-sur-Mer dès le début 1943. J'avais 19 ans.

Comment s'est constitué le groupe ? Je ne m'en souviens plus, c'était spontané. Il y avait Louis Boissel, 22 ans, notre chef de groupe était en relation avec des membres du Front National que je ne connaissait pas, un camarade de travail, Fernand Cornet, 18 ans, son frère, Henri, 30 ans environ, Octave Debure, camarade de travail, 30 ans et le benjamin, François Hurard, 16 ans environ qui était chez ses parents. Sauf François Hurard, nous avions tous une activité salariée. Boissel, Debure, et Henri Cornet étaient mariés et pères de famille.

Notre action et notre idéal était de faire tout ce que nous pouvions pour contrecarrer , l'occupation allemande : distribution de tracts et journaux de résistance que nous jetions dans les cours de ferme et des maisons, partout où c'était possible, destruction par le feu des wagons de paille et de lin dans les gares de St Rémy Boscrocourt, Touffreville-sur-Eu, St Quentin-du-Bosc : gares qui étaient à proximité de chez nous. Pour la destruction des wagons et permettre de nous sauver avant le début de la mise à feu, sur la création de Louis Boissel, nous utilisions des allumeurs prévus pour la mis en marche des moteurs de tracteurs (diesel) qu'il récupérait à son insu chez son beau-père M.Lisot qui était mécanicien à Criel-sur-Mer. Nous avons été également chez deux filles qui avaient des « rapports étroits » avec les occupants, nous leur avons coupé les cheveux.

Aujourd'hui, quand je repense à toutes nos actions, que nous faisions la nuit, à bicyclette, avec les risques de rencontrer les patrouilles allemandes, ou chez les filles au risque de nous trouver avec des Allemands armés, j'ai des peurs rétrospectives, car nous n'avions pour toutes armes pour le groupe qu'un vieux revolver (modèle 1895) et un pistolet 7,65. Pour ma part je n'avais aucun entraînement pour leur utilisation. Les risques étaient énormes. Il ne nous restait que la foi et notre haine de l'occupant.

 Pour moi, la haine remontait à juin 1940. J'avais 16 ans et demi.

 D'abord, l'humiliation et la douleur que j'ai ressenti à St Georges-les-Gardes( M.et L.) où je me trouvais en évacuation, lorsque j'ai entendu Pétain annonçait que nous cessions le combat. Je ne pouvais y croire.

   2°) quelques jours plus tard, rejoignant ma mère qui était chez un oncle au Mans (72), des soldats allemands se sont emparés de mon vélo tout neuf, je l'avais acheté un ou deux mois avant avec toutes mes économies. J'ai voulu protester en allant au lieu de leur rassemblement au lieu où ils gardaient des prisonniers de guerre français. Devant la réaction des Allemands, les prisonniers m'ont dit «sauve toi, sinon ils vont te donner un coup de baïonnette dans le ventre ». Je suis parti la rage au cœur.

   3°) à nouveau quelques jours plus tard, je marchais sur un trottoir pas très large dans la ville du Mans. Venant en sens inverse, un Allemand en uniforme noir. Par une bravade inconsidérée, je ne suis pas descendu pour lui céder le passage. Cela m'a valu une gifle retentissante. Je n'ai rien dit, mais avais un sentiment de vengeance en partant.

Nous étions toujours avec l'espoir d'avoir des armes et des explosifs pour augmenter nos actions. En février 1944, Louis Boissel avait eu un contact avec des membres de « Libé-Nord », notamment, avec Roger Brumard alias Roland Marcassin, qui ont proposé de fournir des armes, si nous allions dans les mairies prendre des cartes d'alimentation, dont ils avaient besoin pour leurs réfractaires du STO et leurs maquisards. Il fallait, donc, que nous y allions. Louis, informé par un gendarme de Criel, qui était sympathisant, de l'arrivée de ces cartes et à quel jour, avec Ferdinand nous avons mis des passe-montagnes pour ne pas être reconnus ultérieurement (en hiver, c'était normal). Nous sommes partis à vélo, en demander, d'abord à la mairie de St-Quentin-du-Bosc, où le Maire (M. de Badereau) les remis sans difficulté, après lui avoir fait voir, sur sa demande, que j'avais un revolver.

 A la Mairie de Gouchaupré, le secrétaire instituteur nous a indiqué que le Maire, M. Delahaye, les avait chez lui. Nous y sommes allés. Le Maire nous a dit qu'il allait les chercher dans sa chambre. Mais au lieu de revenir avec les cartes, c'est un soldat allemand qui s'est présenté. Nous nous sommes enfuis dans la précipitation, nous avons été obligés d'abandonner nos bicyclettes. Par contre 300 ou 400 mètres après, l'Allemand, à vélo, est arrivé sur moi, pistolet braqué dans ma direction. Ferdinand, courant devant à une petite distance, j'ai levé les bras. Mais au lieu de rester à distance, il s'est approché de moi et je ne sais par quel instinct, j'ai attrapé sa main et son pistolet. Le coup est parti sans me toucher, en l'air sans doute. A-t-il eu peur que je lui prenne son arme ? Il a tiré de son côté, je l'ai repoussé brutalement. Déséquilibré, il est tombé sur le dos et je me suis enfui. Pourquoi n'a-t-il pas réarmé son pistolet ? Je ne le sais pas. Peut-être l'avais-je serré très fort au moment où le coup est parti. Pour le dissuader de me poursuivre, alors que j'étais loin devant lui, j'ai sorti mon revolver et tiré sans résultat dans sa direction. Nous avons couru le plus rapidement possible pour traverser un ou deux prés, puis une ligne de chemin de fer, gravir un petit talus en surplomb de la voie ferrée et poursuivre notre route dans un bosquet où nous étions à l'abri de la vue ; cela faisait en tout environ un kilomètre, Mais à l'époque, je courais un kilomètre en moins de 4 minutes. Il était temps. A peine dans le bosquet, nous avons entendu les Allemands, ameutés sans doute par celui qui nous avait poursuivis, courir le long de la voie pour essayer de nous encercler. Nous avons déguerpi au plus vite et passant d'un bois à l'autre et à travers champs pour réussir à regagner nos domiciles après avoir fait environ dix kilomètres et changer nos vêtements qui avaient été un peu déchirés en passant sur les clôtures en fil de ronces artificielles. 

Le même jour, j'ai quitté mon domicile et mon travail ; il en a été de même pour Ferdinand. 

La première nuit de notre clandestinité, avec Ferdinand, nous l'avons passée chez les parents de Louis qui habitaient le Tréport. Le lendemain, n'ayant pas assez de cartes d'alimentation (St Quentin-du-Bosc est une petite localité), nous avons, en mairie, récupéré celles de Criel-sur-mer. Cela sans difficulté.

Aussitôt après, ne pouvant rester dans la région, nous avons été pris en charge par « Libé-Nord », région d'Eu (76).

Après 2 jours passés dans 2 planques différentes, Brumard, chef de groupe, nous a donné les instructions et explications nécessaires pour nous rendre chez M. Delbarre (Le-Vergenet-Criquiers-76) où nous serions avec d'autres jeunes maquisards, répartis chez les fermiers patriotes pour préparer des actions pour la Libération. Il y avait environ 50 kilomètres à faire. Comme mon vélo était resté à Gouchaupré, j'ai « piqué » un vélo allemand que j'ai aussitôt peint et transformé pour qu’il soit le moins allemand possible. J'ai, d'ailleurs, roulé dessus jusqu'au moment de mon arrestation.

J'étais chez M. Levasseur Ernest, cultivateur aux Bois-de- Puits, Criquiers. Ferdinand était chez un autre cultivateur, à environ 1 kilomètre. J'avais un engagement F.T.P. des forces françaises de l'intérieur et une carte d'identité au nom de Dujardin Henri. Je recevais une petite solde; je ne me souviens plus du montant mais elle était suffisante. Je n'y faisais pas grand chose. Je participais aux travaux agricoles de mon hôte. J'ai appris à traire les vaches.

Pour ta résistance, je suis allé une fois avec le groupe récupérer du tabac chez un débitant de Mers-les-Bains, qui était d'accord. Il a été payé et a dû déclarer avoir été volé par les résistants. Ce tabac était destiné aux maquisards et réfractaires qui n'avaient plus de cartes de tabac. Pour moi, cela ne faisait rien, je n'étais pas fumeur. J'ai, également, participé à la récupération en Mairie des postes de TSF dont les Allemands avaient obligé les propriétaires à s'en séparer.

Lorsque les avions alliés étaient abattus par la DCA allemande, je partais rapidement à vélo, avec mes camarades, pour essayer de récupérer les aviateurs, avant que les Allemands les fassent prisonniers. Malgré plusieurs recherches, je n'ai jamais réussi ; les Allemands non plus, pas très souvent, il y avait beaucoup de patriotes dans cette région et, en particulier, des cultivateurs. Ils arrivaient à les recueillir rapidement, leur donner des vêtements civils et les cacher.

J'ai eu l'occasion d'en rencontrer un, un Américain de 19 ans, chez M. Luc au Vergenet, qui était l'un des fermiers hébergeant un maquisard et qui servait, également, de refuge pour les aviateurs en attente d'une filière pour rejoindre l'Angleterre, Je n'étais pas dans le secret de la filière.

Avec Ferdinand, l'inaction nous pesait. Début mai 44, nous avons décidé de rejoindre Louis Boissel qui s'était réfugié avec sa famille dans une maison forestière de la forêt de Roumare, près de Rouen. Avec lui, nous allions effectuer des actions antiallemandes. Louis avait dû, également, quitté son domicile de Criel, un peu après nous. Nos activités dans cette région avaient mis en éveil l'inspecteur Ali de Rouen, policier ultra collaborateur (Après la Libération, il a dû être fusillé à la suite de son procès). Il avait arrêté de nombreux résistants et la brigade de Criel avait changé de chef, un dénommé fontaine et Louis n'avait pas confiance en lui. Il tenait des propos plutôt anti-résistant se promettant de remettre de l'ordre !

C'est en se rendant du Bois des Puits à la forêt de Roumare (Environ 60 kms) pour rejoindre Louis qu'avec Ferdinand nous avons été arrêtés le 9 mai 1944, dans la matinée par deux gendarmes de la Brigade de Forges-lés-Eaux, entre Rouvray-Catillon et Bos-Edeline en Seine-Maritime. Ils revenaient (je l'ai su à ma sortie de déportation) d'une enquête à la suite d'un vol dans la soirée ou le jour précédent. Ils nous ont demandé nos cartes d'identité, puis ont procédé à la fouille de nos valises qui étaient sur nos vélos. Le gendarme Henry a trouvé dans une valise une sacoche à revolver. Aussitôt, il s'est montré agressif, m'a ceinturé, passé les menottes, puis trouvé sur moi un revolver. Par contre, le gendarme Francis Fer qui l'accompagnait n'a rien fait pour arrêté Ferdinand qui a réussi à se sauver en sautant dans un petit bosquet en contrebas de la route. J'ai su à mon retour de déportation que Fer avait été tué par les Allemands en résistant et je pense qu'il m'aurait laissé partir. Mais, le « climat » de la Brigade ne devait pas lui être favorable. J'en ai eu la confirmation par les propos tenus par le chef de Brigade lors de mon transfert à Rouen, que pour lui, il obéissait aux ordres : « Aujourd'hui, il travaillait pour Pétain et que demain, il travaillerait pour De Gaulle ». A un autre moment, il m'a dit : « si tu vois ton copain, dis-le-nous, comme ça tu ne seras pas seul ».

Conduit à la gendarmerie dans un camion qui passait, qu'Henry avait fait arrêter, j'ai été enfermé et mis en cellule. Au cours d'un entretien, j'ai dit aux gendarmes qu'ils allaient me faire fusiller par les Allemands, ils m'ont répondu qu’ils ne me remettraient pas aux Allemands. J'ai fait valoir, sans résultat, d'être relâché que j'appartenais à la résistance. Ma carte au nom de Henri Dujardin était fausse, j'ai indiqué mon véritable nom, je n'ai rien obtenu ; le même jour, j'ai été transféré, d'abord au Palais de justice de Rouen ou le juge d'instruction Grisel ne m'a pas particulièrement interrogé ; mais j'ai été écroué aux isolés politiques de la prison de Bonne Nouvelle, pour port d'arme et fausse carte d'identité. 

J'y ai trouvé, dans la même cellule, deux amis qui me sont restés chers, Roger Sporry, arrêté par la police de Vichy comme syndicaliste. Il a eu la chance de ne pas être déporté avec moi et après la déportation, il est devenu par la suite Président du Comité de libération de Rouen. Et Jean Berthon qui fut déporté avec moi à Neuengamme, il est mort en 2004. Roger Sporry est décédé depuis de nombreuses années, il avait 20 ans de plus que moi, au même jour. 

J'ai eu la chance que le 6 juin 1944, le débarquement allié a amené les Allemands et Ali, en particulier, à s'occuper d'autres « cas », si bien que je n'ai été interrogé qu'une 2ème fois par le Juge Grisel qui s'est contenté de déclarations évasives. Il ne m'était pas apparu très collaborationniste, plutôt le contraire. Mais 60 ans après j'ai des angoisses, lorsque je pense que si j'avais été torturé, j'aurais pu « craquer » et parler et mettre en péril plus d'une dizaine de familles résistantes que je connaissais et tout cela par la faute de gendarmes français qui avaient oublié de se conduire comme tels. 

Lors des bombardements alliés sur Rouen, c'était fin mai, début juin 44, nous avons failli nous évader. Une bombe est tombée à proximité de l'entrée de la prison. If y a eu un moment de panique chez les Allemands et chez nos gardiens. Des détenus, des isolés politiques, ont brisé les serrures de leurs cellules et les nôtres, pour nous trouver dans les couloirs, après quelques erreurs de parcours, nous sommes arrivés dans la cour face à la sortie. Hélas, dans l’entre-temps, les Allemands s'étaient ressaisis et nous avons dû réintégrer non pas nos cellules qui n'avaient plus de serrures, mais une grande cellule collective où nous étions environ une trentaine. 

La nourriture n'était pas bonne et peu à manger; ma mère arrivait par l'intermédiaire de Mme Sporry et de sa fille Edith, ensuite par une sœur de Jean Berthon, à me faire parvenir un léger complément Cette détention fut très dure. En plus, II y avait des punaises dans les paillasses. 

Vers le 20 juillet, nous avons été enchaînés deux par deux, je ne me souviens plus si c'était par les pieds ou les poignets. Sous ta garde de soldats allemands, nous avons traversé la Seine en barque (tous les ponts de Rouen étaient détruits) puis mis dans un car de réquisitionné, nous sommes arrivés au camp de Compiègne-Royalieu. 

Dans le car, il y avait un gardien, milicien français. Pour nous mettre dans l'ambiance, il nous a déclaré que les Allemands allaient nous emmener dans un bois pour nous fusiller. Cela a jeté un froid. 

Arrivés dans la nuit à Compiègne, nous avons été isolés dans un local où nous avons dormi sur la paille. Le lendemain, nous avons été incorporés dans le camp, dans une baraque avec des codétenus. Horreur ! A Bonne Nouvelle, il y avait quelques puces, ici, elles couraient par terre, sur les paillasses. Partout, c'était affreux, surtout la nuit. Pas question de dormir beaucoup. Le mieux, c'était la possibilité de marcher, d'être au soleil et en plus de recevoir un colis de la Croix Rouge. Je lui en garde une profonde reconnaissance. C'était bon pour la faim mais aussi pour de moral. 

Je n'y suis resté que quelques jours. Le 27 juillet, à la suite d'un appel nominatif, nous avons été dans d'autres baraques et le lendemain, de bonne heure et sous bonne garde, nous avons traversé une partie de Compiègne pour être enfermés dans des wagons à bestiaux, dont les lucarnes étaient grillagées avec des ronces artificielles. Nous étions au moins 60 par wagon.

Quelles sont tes villes traversées ? Je n'ai rien vu sauf Hambourg. Le transport dura 3 jours, dans des conditions difficiles. Nous ne pouvions pas nous allonger, car la place manquait. Sur les conseils d'un groupe, nous avons pu nous reposer ; la moitié s'allongeait, l'autre moitié restait debout. 

La nourriture a dû consister du morceau de pain et du bout de saucisson, que nous avions eu au départ. La boisson faisait défaut J'ai énormément souffert de ta soif. 

Il y avait dans le wagon un bidon pour satisfaire « aux besoins naturels ». Pour moi, ce fut très pénible, j'étais près du bidon. Pour y accéder, les camarades passaient comme ils pouvaient. J'étais continuellement enjambé, parfois écrasé. La proximité du bidon me donnait des « éclaboussures » que j'aurais bien voulu éviter. 

Il n'y a pas eu de tentative d'évasion dans notre wagon. Le moral n'était pas trop mauvais ; le débarquement du 6 juin, fa possibilité rapide de la fin de la guerre. Nous ignorions à ce moment l'enfer dans lequel nous allions arriver. 

Nous nous réconfortions mutuellement. Quoiqu’en changeant de gardiens, sans doute, nous avons eu un avant goût de l'accueil qui nous attendait. 

Un SS est entré dans te wagon pour nous compter. Sous les coups, il a fallu se tasser rapidement d'un côté, pour ensuite passer de l'autre côté pour se tasser à nouveau. Le tout avec le maximum de brutalité. 

Le terme du voyage était attendu avec impatience, nous avions énormément soif. Après l'arrêt du train, ceux qui pouvaient voir à travers le grillage nous disaient qu'ils voyaient des barbelés, des soldats avec des fusils à la main, des chiens. Lorsque la porte fut ouverte brutalement, aussitôt, obligation de descendre à toute vitesse sous les coups qui s'abattaient, les chiens qui mordaient ceux qui ne pouvaient aller assez vite. Malheur aux vieux et aux handicapés ! 

Mis en rang par cinq, nous passons l'entrée principale du camp, pour être parqués sur la place d'appel. Se tenant à distance de notre groupe, nous voyons pour la première fois nos compatriotes de misère, vêtus d'habits rayés. Certains réussissaient à s'approcher et nous passaient un peu d'eau (nous n'avions toujours pas eu à boire). Personnellement, je n'ai pas eu ta chance d'avoir de cette eau. 

Je crois que c'est lorsque nous étions sur cette place ou le lendemain qu'un détenu allemand qu'ensuite j'ai identifié comme étant le « lager altesten » doyen du camp, nous fit un discours qu'un interprète traduisait, nous disant que nous étions dans un camp de concentration allemand et que nous n'avions plus d'autres espoirs qu'obéir, travailler, survivre. 

Dans la soirée de notre arrivée, nous fûmes mis dans la cave du bâtiment en briques, à gauche de l'entrée du camp. 

Personnellement, j'y suis resté assez longtemps car, à tour de rôle et suivant l'endroit où nous étions, nous partions par groupe pour les « douches » : y laisser nos vêtements, se faire raser : cheveux et poils, désinfecter au pinceau sous les bras et entre tes jambes, ensuite recevoir une plaque portant le numéro que j'étais devenu le 40621, suspendue au cou avec une ficelle, puis un vêtement civil usagé avec une croix peinte en jaune sur le dos de la veste et sur les deux côtés du pantalon, un chapeau avec sa croix jaune, les chaussures étaient des galoches à semelles de bois, avec une lanière. J'avais triste allure mais ce n'était pas grave.

Ensuite, nous allions dans un block, « baraquement » en bois où se trouvaient des châlits en bois avec une paillasse, sur trois étages. Ces châlits, d'environ 70 centimètres de large, prévus pour une personne étaient groupés par deux dans le sens de la longueur. Nous y étions entassés à cinq, deux sur l'un, deux sur l'autre et un sur les planches du milieu. 

J'étais comme la majeure partie des arrivants au block 11, considéré comme block de quarantaine. Au bout de deux ou trois jours, j'ai été affecté au travail du côté de la briqueterie pour passer des wagonnets, terrasser etc. suivant les jours, il fallait toujours aller vite et courir. Les coups pleuvaient, les kapos et les SS rivalisaient dans la brutalité. C'était le même programme tous les jours. 

Au bout de 15 jours à trois semaines, j'ai été embarqué dans un wagon à bestiaux, nous étions quelques centaines dans plusieurs wagons pour aller travailler dans une mine de fer à Salzgitter. Ce camp ne fut pas trop tragique. Dans la journée, je descendais dans la mine, n'ayant aucune notion de ce travail, j'étais sous fa direction de civils (porions) Allemands ou Polonais. Ils étaient bons à notre égard et surtout il n'y avait ni kapo ni SS. Ils ne descendaient pas à la mine. 

La nourriture quoique légère, était meilleure qu'à Neuengamme. Le chef de camp, prisonnier, était un « triangle rouge » (détenu politique allemand) qui ne prônait pas la violence, j'ai rarement vu des cas de brutalité. De plus, dans la mine j'ai, par personne interposée, eu quelques vivres par un prisonnier de guerre originaire de Flocques, près de Criel-sur-Mer, M. Ducros. Pour moi, c'était très important tant pour ma vie que pour mon moral. Je l'ai remercié à mon retour en France ; il considérait cela comme normal, il y a toujours de braves gens. 

Hélas, cela ne dura que jusqu'à fin septembre début octobre. Il parait que notre rendement était insuffisant ! Nous fûmes ramenés à Neuengamme par les mêmes wagons qu'à l'aller. 

Le jour suivant alors que nous étions en rang sur la place d'appel, notre chef de camp de la mine fit sortir du rang une quinzaine de détenus, il nous fit passer à la douche, vêtir de nouveaux habits rayés et partir en camion pour la prison centrale de Hambourg afin d'être affecté à un kommando chargé de déterrer les bombes alliées qui n'explosaient pas ou à retardement 

C'était très dangereux, mais on se familiarisait à tout au bout d'un certain temps. 

Nous étions dans une grande cellule, les paillasses étaient posées sur le sol. Pour la nourriture c'était le « paradis » par rapport à Neuengamme. Pour aller au déminage, nous étions par équipe de six détenus, gardés par quatre vieux soldats allemands qui n'avaient aucune hargne à notre égard. Je me souviens de l'un d'entre eux qui avait été fait prisonnier en 14-18 ; il gardait un bon souvenir de sa captivité dans la région de Bordeaux où il avait apprécié le vin français. 

Nous avions un chef d'équipe, généralement bon, et un artificier qui souvent le midi nous emmenaient manger avec eux dans leur cantine. 

Tout allait bien, hormis quelques peurs, notamment vers la mi-novembre 44, les Alliés bombardèrent avec de nombreuses bombes à retardement et lorsque nous étions dans le trou en train de piocher pour extraire une bombe et qu'une autre explosait tels des pantins à ressort nous sortions du trou. Il fallait bien, ensuite, y retourner malgré la peur. Ce n'est qu'au début décembre 44 que l'angoisse et la peur continues m'envahirent et de même pour quelques camarades français. 

Les Alliés jetaient des bombes à retardement avec un nouveau type de mise à feu du détonateur. Les Allemands n'avaient pas de système permettant de les désamorcer sans risque. Ils nous obligèrent à les charger sur des brancards pour les porter dans des endroits qui n'étaient que ruines et les faire exploser. Hélas, il y a eu des morts, y compris un artificier allemand, par des bombes qui explosaient durant le transport. 

De plus, nous pensions que la fin de la guerre approchait et que c'était trop bête de mourir à la fin. Je décidais avec mes amis, Eugène Letaignec, Jean Borek et Edmond Neveu, de partir dès que cela serait possible, car les SS faisaient varier le nombre de démineurs en fonction des bombardements (il fallait rentabiliser la main d'œuvre concentrationnaire) donc un apport après un bombardement suivi d'un retour au camp de Neuengamme lorsque le déminage se terminait. Il ne restait qu'un noyau d'habitués en cas de besoin. Ce retour au camp de Neuengamme se fit vers le 15 décembre. Nous retrouvions le Camp encore pire qu'avant notre départ début octobre. Nous n'y sommes pas restés. Le lendemain, nouvel embarquement avec quelques autres Français et une centaine de Juifs hongrois pour arriver dans la nuit à Wilhemshaven et être affectés à l'arsenal de marine de guerre allemande.

 A noter que nous ne savions jamais où nous allions arriver. C'était la découverte... 

Pour moi qui venait d'Hambourg c'était l'enfer. Réveil de bonne heure, 5 heures du matin environ, avec distribution de coups de matraque pour les traînards ou les mal éveillés, puis obligation de faire le lit au carré réglementaire avec une couverture et une paillasse informe. Gare à celui qui ne le faisait pas bien, c'était 25 coups de gourdin. Quelque temps après on nous donnait un ersatz de café avec une petite boule de pain à se partager à plusieurs (je ne me souviens plus à combien) mais la tartine était mince. C'était le petit déjeuner. 

Ensuite ? en rang sur la place d'appel sans bouger, par tous les temps, pendant presque une heure pour nous compter. Nous partions en colonne par cinq, gardés par des militaires armés, fusil à la main. Pour moi, j'allais dans un atelier, non chauffé où je remplissais de sable des tuyaux destinés à être chauffés et mis au gabarit. A midi, arrêt d'une demi-heure, pour une soupe (quelques morceaux de rutabaga ou de chou, rarement de pomme de terre, surnageant dans un petit litre (abri) autant au retour, Malheur aux grands, ils étaient une cible pus facile. Heureusement, j'étais assez petit. 

Gymnastiques collectives, souvent en pleine nuit, avec coups de matraque pour ceux qui n'y arrivaient pas ou trop fatigués ou en bout de rang ; tout était bon comme prétexte pour taper. 

Douches collectives, nus, en pleine nuit, au jet d'eau froide dans les lavabos, pour le plaisir de ces messieurs, alors que nous étions transis.

Tous tes moyens étaient bons et j'en oublie certainement. 

Fin mars 1945, l'arsenal et la ville de Wilhemshaven furent bombardés et notre chambre, en notre absence, fut partiellement détruite. Ne travaillant plus à l'arsenal, les SS nous firent construire des murs antichars avec les gravats et briques des immeubles détruits. 

Début avril, en pleine nuit : réveil, vite debout, le stubendient (homme de service des chambres) nous jette des vêtements propres, en échange de ceux que nous avions qui étaient dans un état lamentable (les mêmes qu'a l'arrivée, sans avoir été lavés, si mes souvenirs sont bons), ordre de prendre deux couvertures en bandoulière. Très tôt le matin, rassemblement, le lageralteste (doyen du camp) nous déclare, selon Charles qui comprend l'allemand, que cette marche est une marche en avant ou bien mourir. Il donne l'ordre au kapo de frapper un bagnard, qui ne peut plus marcher, jusqu'à ce qu'il tombe, afin qu'il soit descendu par un SS, Tout homme à terre sera tué. Une marche à la vie, à la mort. 

Cette marche qui durera jusqu'au 16 avril fut pénible, à part la soupe servie avant notre départ avec le reste du ravitaillement qu’il y avait au camp fut abondante ; nous n'avions jamais vu cela. Je ne vis que de temps en temps un peu de pain, rarement de la soupe, sauf à Bremen Farge qui était un camp et une autre fois si mes souvenirs sont bons. Nous avions soif. Certains prenaient des risques pour avoir un peu d'eau qu'ils recueillaient à la main ou dans une boite quelconque lorsque nous passions dans un endroit où il y avait un peu d'eau. Personnellement, j'ai souffert mais moins que certains, je suis assez résistant à la soif. 

Au cours de cette évacuation, nous fûmes embarqués dans un bateau pour remonter la Weser jusqu'au camp de Bremen Farge. J'étais dans le fond de la cale et j'y trouvais quelques pommes de terre d'un transport précédent ; j'en aï mangé crues, ce n'était pas très bon mais cela me faisait du bien. 

En allant au lieu de débarquement de Bremen Farge, notre camarade Perdrio ne pouvait plus marcher et c'est avec l'aide de ses camarades qu’il a pu arriver au camp. Le lendemain, nous apprenions qu'il était mort. Ce fut notre première tristesse dans le groupe que nous formions dans la chambre de Wilhemshaven, depuis décembre 44. 

Il y avait Charles Wettervald, Alsacien, officier de l'armée française jusqu'en juin 1940, il était l'un des 42 officiers qui avaient refusé d'être incorporé dans l'armée allemande; Eugène Lelaignec, Breton de Concarneau, Jean Borek, d'origine polonaise, Jean Neveu avec qui j'ai été en prison à Rouen, Salzgitter et Hambourg ; Bernard Danchaud, arrêté en Allemagne pour sabotage (il était STO) mort quelques jours après la libération et Perdrio. Il y en avait d'autres mais je ne m'en souviens plus. 

Le 16 avril nous arrivons à Hambourg et sans savoir pourquoi, nous sommes embarqués, entassés à 60 par wagon, pour arriver à Bremen Vorder (nous revenions sur nos pas à peu de chose près) d'où nous partons à pied vers le stalag 10B de Sandbostel, camp de prisonniers de guerre. Nous traversons l'avenue centrale qui sépare deux rangées de baraques propres. Soudain, nous franchissons une porte grillagée recouverte de feuillage. Horreur ! Stupeur ! Nous entrons dans une cour des miracles comme n'en n'a pas imaginé Victor Hugo. 

Des « restes », de ce qui étaient des corps humains circulent, comme leurs maigres forces le leur permettent. Des fantômes ! Des squelettes ambulants ! 

Tout à coup, à un coin de baraque, un spectacle affreux, hallucinant, de cadavres nus, décharnés n'ayant plus forme humaine sont entassés là, tels des gerbes sur une meule de blé. Certains ont les yeux ouverts, leurs visages sont affreux, tordus dans la mort, dernière volonté tendue pour ne pas mourir. Quatre hommes sortent d'un block portant sur leurs épaules un banc sur lequel est étendu un cadavre nu. Arrivés à un tas, ils balancent le cadavre sur les autres. Où sommes-nous ? L'homme est ravalé au rang de bête, que de crimes ont commis les Nazis ! Le plus grand des crimes n'est pas, je crois, d'avoir tué mais d'avoir amené, par leurs mesures, une telle dégradation de l'être humain. 

Il parait qu'if y eu des cas de cannibalisme, cela ne m'étonne pas, nous avions tellement faim. 

Les un ou deux jours suivant notre arrivée se passent à traîner dans la partie du camp qui était réservée aux bagnards que nous sommes. 

Nous découvrons un peu partout d'autres tas de cadavres et des mourants qui peuvent à peine bouger, d'une maigreur cadavérique. 

Le dernier soir, alors que nous avions à peine mangé depuis notre arrivée, nous recevons dans notre block des pommes de terre cuites, non épluchées. Elles sont dans une couverture portée par deux kapos, sans doute afin qu'ils en distribuent quelques-uns unes à chacun. Alors que nous sommes en rang, arrivé à ma hauteur, il se produit une bousculade derrière moi. Je suis poussé et je tombe la tête dans la couverture, je me hâte d'en prendre avant qu'elles ne s'en alitent happées par les assaillants affamés qui venaient les voler. 

Je n'ai pas eu le temps de réaliser ce qui se passait, car aussitôt, notre chef de block commande « Français, Belges, Hollandais sortez », Pourquoi, je ne savais pas. Nous sortons et je constate que le magasin de vivres est pillé ; je fonce comme je peux à l'intérieur, je reviens avec un pain qui m'est arraché des mains par un autre détenu, j'y retourne, je reviens avec du sucre en poudre que j'ai caché dans mes poches. La révolte gronde dans le camp et je m'empresse avec mes camarades de me diriger vers la porte de sortie du camp.

A cette sortie, se trouve un SS que nous avions à Wilhemshaven, qui sélectionne le passage, ne l'accordant qu'aux Français, Belges, Hollandais. Aussitôt dehors, nous sommes mis en rang dans l'allée centrale du camp. Au bout d'un certain temps, Charles nous signale que les SS donnent ordre à ceux qui ne peuvent pas marcher de sortir des rangs, une voiture les prendra le lendemain.

Toute la chambrée de Wilhemshaven était à peu près présente et décide de rester. C'est probablement ce qui m'a sauvé la vie; j'apprendrai plus tard que tes partants sont ailés jusqu'à Flensbourg à la frontière Danoise, parcourant environ 250 Km à pied et en bateau, ayant d'être libérés seulement le 8 mai ; il y eu de nombreux morts. Dans l'état où j'étais, je n'aurais sûrement pas survécu à cette nouvelle épreuve. Le lendemain dans la matinée, et sous l'escorte de quelques vieux soldats, nous partons à pied. Dans notre colonne, il y a environ une centaine de détenus, nous faisons 1 ou 2 kilomètres, peut-être, car nous faisons demi-tour et rentrons au camp. 

A l'entrée du camp, une ou deux charrettes de cadavres sanguinolents. Nous apprenons que, dans la nuit, pour réprimer la révolte, les sentinelles allemandes de garde, des prisonniers et le service de sécurité ont ouvert le feu sur les déportés restants dans le petit camp. Là encore, j'ai eu de fa chance, j'aurais pu rester dans le camp et être tué par balle. 

Nous sommes pris en main par les prisonniers de guerre français pour les déportés français, par les prisonniers de guerre russes pour les déportés russes, etc. probablement en accord avec les autorités allemandes du camp. 

Depuis le départ des SS et Kapos, la nourriture s'est améliorée et si nous ne mangeons pas à notre faim, c'était nettement mieux. Avant, nous n'avions rien. Je me souviens d'un officier allemand, il s'était mis un brassard à Croix Rouge, qui nous disait à chaque fois qu'if arrivait dans le block « Gut » et nous lui répondions de même. Il avait certainement une certaine compassion à notre égard. 

Je dois remercier les prisonniers de guerre français, ils ont fait tout ce qui leur était possible pour améliorer nos conditions de vie. Et c'était énorme compte tenu de l'état de dénuement dans lequel nous étions. De plus, ils prenaient de gros risques de contagion, nous étions porteurs de maladies et, en particulier, du typhus, qui commençait à se faire sentir. Je pense que c'est sur leur action qu'au bout de deux ou trois jours, nous avons pu quitter notre petit camp infect et porteur de toutes les maladies.

Passer à l'épouillement, avoir des vêtements militaires propres, de je ne sais quelle nationalité, à la place de nos haillons repoussants et pleins de poux. Ah les poux ! C'était des poux de corps, nous en avions partout : dans les poils, les coutures de pantalon, etc. Nous passions des heures à les écraser entre les deux ongles des pouces, pour tenter de nous en débarrasser. La nuit, en particulier, ils devenaient voraces.

Les jours passent. Le groupe se disperse un peu. Certains retrouvent d'anciens compagnons, je reste surtout avec Bernard Danchaud. Il est très amaigri. Une dysenterie tenace ne doit pas lui permettre de digérer normalement. Il peut à peine se déplacer ; je l'aide un peu, mais je ne peux faire grand-chose. Nous attendons nos libérateurs avec Impatience. 

Enfin le 29 avril, je l'ai su par la suite, je n'avais plus la notion des jours qui s'écoulaient, dans l'après-midi, l'arrivée des Anglais a été le bonheur absolu. J'ai comme la plupart des survivants pleuré de joie, ce bonheur a été terni par l'état de santé de Bernard qui se mourrait et se vidait sans arrêt par la dysenterie algue (probablement le début du typhus). La maigreur de ses cuisses complètement décharnées faisait pitié. J'aurais voulu qu'un service médical le prenne en charge tout de suite. Hélas, ce n'était pas possible, j'en ai pleuré de rage. 

Je ne suis pas mieux que Bernard, je ne m'en rends pas vraiment compte, mais je dois peser aux environs de trente cinq kilos, je me souviens que j'avais l'articulation osseuse du genou plus grosse que le haut de ma cuisse. J'en faisais le tour avec mes mains, et mes doigts non seulement se touchaient mais se chevauchaient les uns sur les autres. 

J'au pu le 2 mai, grâce aux prisonniers de guerre, écrire à ma mère, j'ai l'original de cette lettre. Je lui disais :

 

Mercredi 2 mai 1945.

 Chers maman, frères et sœurs.

Libéré, c'est avec une joie que vous devez comprendre, que je puis enfin aujourd'hui vous faire parvenir de mes nouvelles qui sont bonnes, quoique, je sois un peu faible ; mais comme bientôt, j'espère être près de vous, tout ira bien. Ah ! Chère maman, que de chagrin a dû te créer mon long silence, moi aussi j'ai souffert, mais qu’importe tout cela puisque maintenant la France est libre et les «Boches» écrasés. Quelle race que ces hommes, je te raconterai cela plus tard, un journal n'y suffirait pas. 

Si tu avais pu voir la joie des prisonniers quand nous avons vu les Alliés, plusieurs avaient les larmes aux yeux et j'étais de ceux-là.

J'aurais bien voulu être parmi eux, mais hélas le sort en avait décidé autrement.  

J'aime à croire que tu as reçu des nouvelles de Jean et Roger et qu’ils sont aussi libérés et que toute la famille va bien. J'espère que tu n'as pas manqué d'argent et que le groupe et les camarades t’ont aidé.  Voilà bientôt un an que je suis prisonnier par la faute de Français, qui n'ont pas su comprendre leur devoir. J'espère qu’ils ont été punis depuis longtemps. Un an durant lequel bien des événements se sont déroulés, auxquels j'aurais tant voulu contribuer. 

Enfin chère maman, je vais avoir toutes les joies que j'attends, vous revoir, toi et la famille, le pays, les amis, avec tout cela, j'essaierai d'oublier cette année perdue, mais il y a une chose que je n'oublierai pas, c'est la souffrance que les « Boches » m'ont fait endurer. On a promis de nous ramener en France dans une dizaine de jours, donc bientôt je serais près de vous. 

A Bientôt, je vous embrasse tous, de tout cœur en attendant de le faire de près. 

Votre fils et frère ; Sylvain

 A quelle date te typhus exanthématique s'est déclaré pour moi et que le haut de ma fesse m'a fait plus fortement souffrir, je n'en sais rien. Quand ai-je été séparé de Bernard, c'est pareil. Je suis dans un têt état que je n'ai aucune notion ni des dates, ni des lieux. 

Je me souviens qu'après avoir été entièrement lavé par des Allemandes, peut-être des infirmières, je me suis retrouvé dans un hôpital de fortune, il me semble qui était à proximité ou à l'intérieur du stalag. J'ai des papiers d'hospitalisation précisant les dates de soins : administration de sulfamides et transfusions du 17 au 28 mai. Mais il est probable que je sois rentré à l'hôpital avant le 17 mai. Pour nous soigner et nous devions être nombreux, il y avait des médecins anglais et Allemands, secondés par infirmières allemandes. Ils étaient tous très dévoués. 

J'avais une forte fièvre, et je me suis souvenu que ma mère me disait que pour combattre la fièvre il fallait suer beaucoup, je me mettais, y compris la tête sous les couvertures. Cela m'a-t-il été bénéfique ? Peut être. 

Un jour en me levant pour uriner, j'ai eu une période assez longue, où je ne voyais plus. J'ai cru que j'allais être aveugle, et j'ai paniqué. C'était dû à la violence de la fièvre sans doute. 

Le 2 juin, grâce aux soins, ma fièvre ayant diminué, j'ai été transféré, en attente de mon rapatriement, dans un autre établissement. La direction était américaine, si mes souvenirs sont bons, mais avec un personnel allemand. Mon abcès me faisait toujours souffrir, un chirurgien allemand me proposa de m'opérer. Je ne lui ai pas fait confiance; J'ai eu peur qu'il me fasse mourir (crainte irraisonnée due à mes rapports avec les SS). J'ai refusé, lui disant que je préférais rentrer le plus rapidement possible en France.

Le 8 juin, c'est le grand départ, je suis conduit en ambulance américaine et sur une civière dans la région de Brème. J'embarque dans un avion militaire, ma civière avec d'autres accrochées au plafond de la carlingue, pour atterrir, sans doute au Bourget. Aussitôt arrivé, j'ai été conduit à l'hôpital TENON à Paris dans le 20ème. 

J'étais dans une grande salle où il n'y avait que des déportés malades. Nous avons été choyés par tout le personnel de l'hôpital. 

Sauf que pour mon abcès, j'ai dû subir des piqûres de « Propidon » pour le résorber ; c'est une médecine de cheval, très douloureuse. 

En plus, nous étions »parrainés » par des Parisiens qui venaient nous rendre visite, nous réconforter, nous apporter des friandises, dans la mesure de leurs possibilités bien sûr. C'était un formidable élan de générosité et d'affection. Et enfin, dès le début, j'ai pu prévenir ma famille qui est venue me voir, et avoir le bonheur de nous retrouver. Mes frères, Jean prisonnier de guerre était rentré, Roger STO également. Nous étions passés à coté de la tragédie. 

Mon état de santé s'améliorait et une de mes plus grandes sorties a été d'aller voir le défilé du 14 juillet, sur les Champs-Elysées. 

J'allais également à quelques déjeuners offerts, chez eux, par les parrains ou marraines ; c'était très sympathique. Il fallait que j'aie des habits, j'étais arrivé à l'hôpital sur une civière en pyjama. En plus de ce que m'avait apporté ma mère, une marraine m'a fait avoir gracieusement un costume, venant d'un comité d'entraide de Montevideo (Uruguay). 

J'ai, également, assisté à la première assemblée de ce qui allait devenir « L'Amicale des anciens déportés de Neuengamme ». C'était en fin juillet ou début août 1945.

Le 23 juillet, je suis sorti de l'hôpital Tenon. Comme j'avais encore des soins à poursuivre, j'ai été logé gratuitement chez une « marraine » ; une vieille dame très gentille, épicière 1 rue du Retrait à Paris 20ème, qui mis à ma disposition une chambre de bonne, très confortable, située au-dessus de son épicerie. Je prenais mes repas, gratuitement, dans un centre d'accueil, le « Kédive » place Gambetta dans le 20ème. 

Heureusement pour moi, car je n'avais pas d'argent et les moyens financiers de ma mère ne lui auraient pas permis de me venir en aide.

Je ne suis rentré chez moi que te 13 août, 3 mois après ma libération. J'ai repris mon travail te 1er septembre ou octobre, dans la laiterie ou je travaillais avant mon départ fin février 1944. 

Entre le 13 août et ma reprise du travail, j'avais eu un titre de transport me permettant de retourner quelques jours dans ma Bretagne natale. 

En rentrant/ j'ai eu le plaisir d'apprendre que sur l'initiative de mon ami Debure, compagnon dans notre résistance, il avait été fait une quête dans la laiterie, le montant, assez important, avait été remis à ma mère, au titre de l'entraide et de la solidarité résistante. Merci mes Amis ! 

60 ans après, en pensant à cette période, que j'avais un peu mise à l'oubli pendant de très nombreuses années, je constats, que lors de ma déportation, je m'étais totalement replié sur moi et le groupe qui m'entourait. Je ne pensais plus ni à ma famille, ni à mes amis restés en France, je ne vivais qu'au moment présent. J'avais 20 ans et réussi à ne pas sombrer dans certaines psychoses, notamment la faim, comme certains camarades pour qui c'était devenu obsessionnel. Ils ne partaient que des plats qu’ils mangeraient à leur retour, copiaient des recettes de cuisine quand ils pouvaient se procurer de quoi écrire. Il est certain que peu de temps après ils déclinaient et que la mort les emportait. C'était terrible. Je gardais toujours l'espoir de la libération, j'étais presque au stade de l'individualisme complet, j'étais probablement anormal et je ne m'en rendais pas compte. 

A mon retour, je n'ai pensé que très rarement et sans l'approfondir à cette période. Je revoyais avec un grand plaisir mes anciens camarades de résistance et de déportation, sana se rappeler les mauvais souvenirs, ne voyant que la joie de se retrouver de temps en temps, parfois très souvent. J'allais à tous ces rassemblements de l'Amicale de Neuengamme, nous nous retrouvions comme des frères et dans une entente totale. 

Mon chef de groupe de la résistance est devenu mon beau-frère me mariant en 1947 avec sa sœur. 

J'avais même omis de faire les démarches pour faire reconnaître ma situation de déporté résistant. Ce n'est qu'en 1953, sur l'incitation de camarades et une aventure absurde que j'ai fait le nécessaire. En 1953, j'étais marié et père de famille, je reçu de là sous-préfecture de Dieppe une notification m’informant que considéré comme recherché ou insoumis (Je ne me souviens plus) n'ayant pas répondu à l'appel de sa classe (la 43), appelée peu de temps après la libération. A cette époque, je ne pouvais y aller, étant encore en camp de concentration, j'étais convoqué à Eu (76) devant le conseil de révision. J'y suis allé et sur mes explications de santé au médecin major (d'un certain âge et probablement ex-Vichyste) concernant mon état. Je lui indiquais qu'ex-déporté, j'avais des problèmes très importants à l'estomac avec un ulcère et que j'avais consulté plusieurs médecins. Il me répondit assez sèchement « un conseil, n'en voyez qu'un : pris, bon service armé ». 

Peu de temps après, je fis une demande de réforme qui fut acceptée. Je considérais que ce que j'avais fait était normal et que je n'avais besoin d'aucune reconnaissance. Il en a été de même pour les décorations qui m'ont été remises : Médaille militaire avec Croix de Guerre 39-45 avec palmes en 1961 et Chevalier de la Légion d'Honneur en décembre 1972. 

Je considérais que j'avais eu beaucoup de chance. Que si j'étais vivant, c'était d'avoir à certains moments de ma déportation être mieux que beaucoup d'autres, La mine, sans Kapo ni SS, lorsque j'étais au fond, les bombes à Hambourg avec une meilleure nourriture sans Kapo ni SS. Je n'avais connu la misère de l'univers concentrationnaire, mais quel Enfer ! qu'à Wilhemshaven. Néanmoins j'étais un chançard. 

Dans la vie et surtout en camp de concentration le destin de chacun tient à peu de chose et changer par une suite de circonstances. Parfois pour quelques jours, quelques heures, quelques minutes tout peut basculer. Je sais que pour moi, si la libération et les soins qui m'ont été prodigués étaient intervenus quelques jours plus tard, je n'aurais pas survécu. 

Par contre, depuis plusieurs années, sans doute dû à l'âge, mes difficultés à m'endormir au coucher, ou lors de réveils nocturnes, j'ai d'importantes insomnies. Je repense au passé de la résistance et de la déportation, j'ai des angoisses, ressassant mes souffrances toutes les fois où j'aurais pu perdre la vie. Mon vélo en 1940, puis à Gouchaupré, à Hambourg, Wilhemshaven, mes maladies à la libération, les camarades morts, etc. 

Il n'est pas possible d'oublier les conséquences de cette période, non pas pour moi, mais surtout pour la mémoire de ceux qui sont morts. 

Dans mon convoi de Compiègne à Neuengamme, nous étions 1652 hommes, 1036 soit 62,7% sont morts ou disparus, 545 soit 33% sont rentrés, pour 67 soit 4,1% la situation est inconnue et 4 soit 0,2% sont décédés au cours du transport, c'est effrayant.

Il faut, également, commémorer leur souvenir, indiquer ce qu'il s'est passé et démontrer que de tels événements peuvent se reproduire, lorsque le racisme, la folie de la grandeur et du pouvoir sans partage sont déclenchées. 

C'est avec plaisir que je constate l'intérêt des médias, des jeunes, des membres de l'enseignement, des municipalités etc. pour rappeler cette période. Je voudrais y participer d'avantage ; mais cela m'est parfois pénible. 

Je pense que la prolifération d'armes prônée par certains chefs d'état et chefs d'état-major et les guerres qui en résultent ne devraient plus exister. Les guerres pour quelque raison que ce soit ne peuvent engendrer que morts, violences et haine et se sont toujours les peuples qui en sont les victimes. 

La plus grande victoire de l'Humanité sera le jour, malheureusement lointain ou enfin il n'y aura plus d'armées pour envahir, maltraiter et tuer des innocents qui ne demandent qu'à vivre libres. C'est peut être une utopie mais il faut y croire et l'espérer. Ce sera aux générations futures de transformer ce rêve en réalité.

Chatenoy le Royal

 Août 2005

 Sylvain LE GALL

 Matricule 40621 Neuengamme

 

Source: Documents de famille

 

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