Yvonne LE CORRE

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Témoignage de Yvonne Le Corre, née le 29 décembre 1913 à Brest, demeurant à Tréboul :

"J’ai fait partie du réseau Turquoise, qui était un service d’espionnage, dépendant du 2ième Bureau français à Londres, à partir de février 1944. J’étais agent de liaison entre Douarnenez et Quimper.

Le samedi 22 avril 1944, j’ai quitté Quimper vers 13H30 pour me rendre à Douarnenez remettre des messages destinés pour Londres au nommé Bernard Ansquer, qui lui devait les faire parvenir aux radios. Je voyageais à bicyclette. Dès le départ de Quimper, j’ai été suivie par un jeune homme, également à bicyclette. Au début je n’ai prêté aucune attention au ce cycliste, croyant que c’était un voyageur normal qui se rendait tout simplement à Douarnenez. Ce n’est qu’en arrivant au tournant de Kerharo en Pouldavid, que j’ai trouvé suspect l’allure de ce jeune homme. En effet, lorsqu’il m’a dépassée il s’est retourné pour me regarder et a semblé me dévisager. Sur le coup, j’ai eu un froid et je n’ai même pas oser me rendre chez Ansquer, en arrivant à Douarnenez, pour accomplir ma mission.

Je me suis donc rendue chez ma tante, Mme Magne, 15 rue jean Jaurès à Douarnenez. Au préalable, j’avais remis mes messages à ma marraine, que j’avais rencontrée dans la rue. Ensuite, je me suis rendue chez Ansquer, Honoré, frère du précédent, qui m’a signalé que son frère était sorti vers midi en compagnie d’un inconnu, qui s’était présenté comme étant « Fernand », le radio du Nord, et disant qu’il fallait se rendre d’urgence prévenir Mme Kervarec, que sa fille était arrêtée.

J’ai vainement attendu le retour de Bernard Ansquer, qui avait pourtant dit à son frère qu’il s’absentait pour quelques minutes seulement. Ayant trouvé une occasion, je suis revenue à Quimper par camion. J’ai quitté Douarnenez vers 17 H et suis arrivée à Quimper à 18 H. En arrivant, j’ai rendu visite à Lozachmeur Maria, factrice chez M. Reverchon, place Saint-Corentin. Celle-ci m’a alors raconté avoir reçu elle aussi la visite de « Fernand », le radio du Nord, qui revenait disait-il de Douarnenez à pied. Or, elle a reçu sa visite vers 14 H et à 12 H il était à Douarnenez. Une preuve qu’il n’avait pas voyagé à pied, c’est que Douarnenez se trouve à 22 km de Quimper. Néanmoins je crois pouvoir certifier que c’était le même personnage qui s’était présenté à Douarnenez chez Ansquer et à Quimper chez Reverchon. Les signalements concordent.

Cette dernière m’ayant ajouté avoir reçu des papiers pour me remettre de la part de Guy Quenet, employé de la préfecture (Déporté et mort en Allemagne) je lui ai dit que je me rendais d’abord à l’École normale changer de vêtements. J’ai donc pris les papiers en question place Saint-Corentin vers 18 H 45 et me suis rendue immédiatement les porter à mon chef Doaré dit « Théo », avec lequel j’avais rendez-vous à 19 H chez les époux Forget, rue Valentin à Quimper.

Comme j’étais à bicyclette, j’ai rentré ma machine dans le couloir de l’immeuble. A l’instant où j’allais refermer la porte, l’individu dont le passage m’avait déjà été signalé à Douarnenez chez Ansquer et à Quimper chez Reverchon, arrivait. Il s’est présenté à la porte, en demandant si « Théo » était rentré. Jeannette Forget lui a répondu qu’elle n’était pas au courant de ce qu’il demandait et l’a fait entrer à l’étude de son père, puis elle est allée prévenir sa mère. Moi-même je suis montée à l’étage.

Quelques minutes après, sont arrivés deux ou trois agents de la Gestapo, qui ont sonné. Au lieu de descendre leur ouvrir, Jeannette a regardé par la fenêtre du 1er étage et a demandé : « Que voulez-vous ? » Ils ont répondu aussitôt : « Police allemande ! » Immédiatement, gros émoi, mais sans perdre notre sang froid, nous avons brûlé tous les papiers et documents que nous possédions.

Pendant ce temps-là, la Gestapo attendait à la porte, sonnant et tapant à coups de bottes. Aussi quand M. Forget leur a ouvert la porte, ils étaient furieux. Ils ont tout de suite occupé la maison et interdit à qui que ce soit d’en ressortir. Le soi disant « Fernand » est revenu une ou deux heures plus tard, sans doute après avoir arrêté M. Reverchon et sa factrice Maria Lozachmeur. Aussitôt il s’est démasqué et au lieu de « Fernand » le "Radio", j’ai constaté que c’était un agent de la Gestapo. En effet, venant à moi il me dit : « Tu es Yvonne. Tu as été à Douarnenez cet après-midi porter des papiers à Ansquer. Tu ne l’as pas trouvé, puisqu’il était déjà arrêté. Qu’as-tu fait de ces papiers ? » Comme je lui ai alors répondu que je ne les avaient plus, il m’a demandé de le suivre dans la pièce voisine. Il m’a reposé la même question, en me disant : « Parle, Maria a tout avoué ! » Je lui ai encore répondu négativement. Aussi bref, il m’a porté une gifle ou un coup de poing qui m’a envoyé rouler à terre, la lèvre supérieure fendue et la bouche pleine de sang. Dès que je me suis relevée, cet individu m’a poussée hors de la pièce et m’a fait monter, en compagnie de M. Forget, dans la voiture de la Gestapo qui attendait à la porte.

Nous avons été conduits au 15 rue La

ennec, siège de la Gestapo. Après un interrogatoire d’identité, il m’a fait monter au 1er étage. Là il me repose la même question : « Qu’as-tu fait des papiers ? » A ce moment je lui ai répondu : « Je les ai brûlés dans le fourneau chez Mme Forget. » Comme il ne me croyait pas, il m’a enlevé délicatement mon manteau, l’a plié et posé sur la table puis, avant que j’ai eu le temps de réaliser ça qu’il allait faire, je me suis retrouvée empoignée par deux hommes et jetée à plat ventre sur la table, la tête enveloppée dans mon manteau.

Je précise qu’à l’instant où l’on me jetait sur la table, le faux radio tenait un nerf de bœuf à la main. Dès que j’ai été étendue, j’ai reçu un formidable coup de nerf sur les reins, suivi d’une série de coups semblables à un battement de tambour. Sous la violence des coups, je me suis débattue et j’ai glissé sur le plancher. Le sinistre radio m’a relevée en me prenant par les cheveux, non sans m’avoir traînée autour de la pièce en me disant : « Tu parleras, tu cracheras, sale garce de femme, tout ce que tu sais ! » Un instant que j’étais accroupie sur le plancher, il m’a redemandé ce que j’avais fait des papiers, où était « Théo », son faux et vrai nom, ainsi que son signalement. Comme je lui répondais dédaigneusement et invariablement que je ne savais rien, aidé de ses acolytes, il m’a replacée sur la table pour une deuxième séance de coups, qui a été suivie d’une troisième séance. Apercevant un revolver sur la table, je l’ai pris et le lui ai tendu en disant : « Tuez moi, mais vous ne saurez rien ! » Il a ironiquement répliqué : « Non, non, on ne te tueras pas, mais tu en verras bien d’autres ! »

Après la troisième séance, la brute de radio, qui était alors en nage, n’a plus insisté et m’a reconduite à la salle commune, au rez-de-chaussée. A l’aube du 23 avril, j’ai été conduite à la prison Saint-Charles. Dans le courant de l’après-midi du même jour, j’ai été reconduite à la Gestapo pour y subir un nouvel interrogatoire, mais je n’y ai pas revu ma brute. »

Yvonne le Corre va être transférée à Rennes le 25 avril 1944, puis fera partie du dernier convoi des déportés du 4 août, le train de « Langeais ». Déportée à Ravensbrück, elle sera libérée par la Croix Rouge Danoise le 1er mai 1945.

Sur les huit membres du réseau « Turquoise » arrêtés le 22 avril 1944, six sont morts en déportation  M ; et Mme Forget, leur fille, M. Reverchon, Guy Quenet de Quimper, Bernard Ansquer de Douarnenez.

   
Sources:
1 Mémoire de Granit