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Ma grand-mère Gernigon habitait, avec son fils André, le village de Launay en Bruz, près de la voie ferrée devenue rue de la Rabine. Lors du bombardement anglais du 8 mai 1944, une bombe soufflante est tombée face à la porte. Ma grand-mère qui s'était réfugiée sous la table, a été projetée contre l'horloge et a été tuée. Mon oncle André qui s'était mis dans un angle de mur, a été épargné; il est venu se réfugier chez nous, à la ferme de Bolac. Nous voici arrivés au 24 mai 1944 : ce jour là, 10 personnes sont présentes à la ferme : mes parents, 3 enfants (Marie-Anne 3 mois, Omer 2 ans et moi-même 4 ans et demi), mon oncle et 4 ouvriers. Une voiture de la Gestapo accompagnée d'un camion allemand arrivent à Goven. Un chauffeur demande où est la ferme de Bolac. Le convoi prend alors la route de Chavagne. Arrivés à proximité de la ferme, les Allemands encerclent la ferme puis les 2 véhicules descendent le chemin. Voyant le camion allemand, mon père qui est au jardin après avoir sorti le pain du four, saute dans le chemin et se retrouve face à un soldat. Maman occupée à la maison ne peut réagir. Mon oncle André, rescapé du bombardement, est dans la petite grange face à la maison, à réparer un vélo pour un Résistant qui devait le prendre le lendemain (Les Résistants roulaient souvent de nuit sur des routes un peu dures et les vélos en pâtissaient). André dit dans son récit : « J’étais sur le qui-vive parce que certains ouvriers étaient partis et n'étaient pas revenus, ça paraissait bizarre. Tout d'un coup, j'ai entendu crier, j'entrouvre la porte et je me trouve nez à nez avec un gars de la milice, un Français. Ils étaient 7 en tout, 3 miliciens et 4 Allemands en uniforme ». Armand Daniel de Saint-Thurial et Marcel Dutay de Goven, qui chargeaient du fumier dans un tombereau, sont amenés devant la maison avec mon père et André, menottés les mains en l'air. Le charretier, parti décharger un tombereau de fumier près de la Miais, s'est réfugié dans cette ferme réalisant la gravité du moment. La Bonne qui gardait les vaches de l'autre côté du carrefour, n’a pas bougé. Les Allemands ont fouillé partout et ont trouvé des armes dans l'ancienne tour du manoir et aussi dans le verger car un caveau creusé dans le sol contenaient des caisses d'armes recouvertes de fagots. Ils ont récupéré les armes, munitions et le pain encore tout chaud (11 pains de 6 kg). Mon père, compte tenu de la rareté du pain à l'époque, s'était équipé d'un moulin à farine et d'un pétrin mécanique en fonte pouvant pétrir 50kg de farine et entraîné par un moteur à essence que j'ai conservé.
Les Allemands ont arrosé d'essence la maison et mis le feu. Ma mère, et nous trois, les enfants, avons été obligés de rester à regarder notre maison brûler. Mon père, André et Armand Daniel sont montés dans le camion qui a pris la direction de Goven. Le camion s'est arrêté dans la côte du Bois de l'Enclos obligeant les hommes à regarder la maison brûler. Ils ont été emmenés à la prison Jacques Cartier où ils ont été torturés pour obtenir des renseignements sur le réseau. Malgré les sévices, aucun n'a parlé.
André Gernigon a été déporté le 1er Août 1944 dans le fameux train de Langeais et interné dans les camps de Dachau, Flossenburg et Dasweiller. Il est revenu le 27 mai 1945. Armand Daniel, qui a également été déporté, est décédé au camp de Melk en Décembre 1944. La maison étant brûlée, nous avons logé dans la grange en terre jusqu’au mois de novembre 1944. Puis une baraque en bois qui avait appartenu aux allemands a été remontée au centre de la cour. André Gernigon est revenu à Bolac après sa libération. Il ne pesait que 34 kg. Il a appris bien des choses, en rentrant de déportation, en parlant des gars de Bolac. Il a appris que 3 hommes qui faisaient de la Résistance étaient descendus dans un café restaurant de la rue St Malo à Rennes. Cet établissement était tenu par un certain Jéhannin. Les miliciens sont entrés, ils ne venaient pas pour ces gars là mais pour quelqu’un d’autre et croyant que c’était pour eux, les 3 hommes ont sortis leurs armes et il y a eu confrontation. Deux hommes ont réussi à s’évader, le troisième, blessé, a été fait prisonnier. Ils l’ont emmené, torturé et bien esquinté ; sous la torture, il a sans doute parlé de Bolac.
En 1946, la maison a été reconstruite par l’Etat. Nous y avons habité au printemps 1947. Alors que nous étions depuis peu dans cette nouvelle maison, nous avons eu une descente de gendarmerie pour une perquisition de tous les bâtiments, y compris la maison où une plaque de ciment qui sonnait creux a été cassée. Ils cherchaient des armes qu’on aurait gardées. J’ai appris, longtemps après, qu’un règlement de compte avait eu lieu à Bazouges-la-Pérouse après la guerre et que le Préfet avait ordonné une perquisition à Bolac et Pléchatel. En 1955, une voiture de gendarmerie est venue de Goven, s’est arrêtée à Bolac. Ne voyant personne, ils sont repartis et nous ont trouvés en train de sarcler des céréales près du petit bois en bas de la côte. C’était pour nous remettre les décorations à titre posthume : chevalier de la Légion d’Honneur, Croix de la Libération et médaille de la Résistance. En 1969, pour le 25ème anniversaire de la Libération, une plaque a été posée sur la façade de la maison avec cette inscription : « Ici vécut Émile Gernigon, martyr de la Résistance, arrêté par la Gestapo et fusillé par les allemands le 30 Juin 1944 ». En 1989 : une cérémonie souvenir (avec une Jeep) organisée par Guy Faisant, a eu lieu sur la tombe de mon père à Goven et à la ferme de Bolac, |