21 octobre 1944 De bonne heure ce matin on nous prévient que nous allons monter en
ligne pour relever le 1er bataillon dIlle et Vilaine. Chacun reçoit
larmement personnel (cartouchières pleines, environ 100 balles plus quelques
grenades). Au petit jour nous partons en direction des avant-postes ; arrivés à
proximité des postes nous sommes dispersés en deux colonnes de chaque côté de la route
et chaque homme est à environ cinq mètres de son voisin. La relève se fait en silence
et quand nos fusils-mitrailleurs sont en position la garde descendante se prépare au
retour, les sentinelles sont relevées et une heure après tout est fini. Nous occupons la
ligne. Jinterroge un des camarades qui descendent au repos avant quils nous
quittent :
- " Ca barde par ici ? "
- " Oui et non, de temps en temps ils viennent nous
rendre visite et nous balancent quelques grenades, aussi il nous faut une garde vigilante
car ils cherchent surtout à faire des prisonniers. "
Maintenant le jour est levé et nous voyons plus clair. Mon
premier regard est devant moi ou sont les lignes ennemies. Nous sommes derrière un talus
et devant nous une prairie avec de grands arbres; à gauche un chemin creux, dangereux
pour nous et favorable pour les "boches", ou est placée une mitrailleuse. A
part quelques coups de fusil lointains aucun bruit ne se fait entendre et l'on peut dire
"secteur calme". A midi ç'est mon tour de garde jusqu'à deux heures. Je suis
ému, comme tous mes camarades, à l'idée de penser que l'on est devant les boches et que
l'on est responsable de la vie des copains qui se trouvent derrière. Ma garde se passe
très bien et à deux heures l'on vient me remplacer; je lui passe les consignes et le mot
de passe, puis je rentre dans le gourbi, une sorte de casemate faite avec des troncs
d'arbres et enfouie sous terre avec deux marches à descendre. Dans un coin se trouve un
appareil téléphonique posé sur une étagère. Au fond s'entasse un peu de paille ou
l'on devra dormir aux moments calmes. A 3 heures je mange, mais avec peu d'appétit car ma
pensée est ailleurs. L'après-midi se passe à préparer ce lieu ou nous allons
peut-être vivre de longues journées et nous préparons les munitions. Au dehors c'est
toujours très calme et la journée se déroule sans incidents. Le repas du soir est vite
avalé et nous regardons la nuit tomber en silence sur la prairie. Maintenant la nuit est
tombée et certains écrivent, d'autres lisent ou fument; je discute avec le chef de poste
qui est mon grand ami car nous sommes du même village et l'on se remémore nos souvenirs
d'enfance ou l'on jouait à la petite guerre. Ce temps nous paraît loin et maintenant
l'on ne joue plus.
A 20 heures tout le monde est allongé sur la paille humide
mais personne ne dort et mille idées se forment dans nos pensées: "
reviendrons-nous tous?"
Mais la fatigue me gagne et bientôt je m'endors. A 3
heures je suis réveillé puisque c'est mon tour de garde. Je suis vite prêt car aucun de
nous ne se déshabille ni ne retire ses chaussures. Je m'avance dans la tranchée et
arrive près de mon camarade qui me passe les consignes et le mot de passe. Il se retire
après m'avoir dit :"Tout va bien." Peu à peu mes yeux s'habituent à
l'obscurité : la prairie est devant moi. Un fusil mitrailleur ainsi qu'une mitrailleuse
sont chargés. Pendant mes 2 heures de garde je reste immobile, attentif aux moindres
bruits. De temps en temps j'aperçois une lueur suivie d'un coup de canon tiré au loin ou
encore un coup de fusil avec sa balle traçante, le cri d'une chouette ou alors le cri de
ralliement d'une patrouille "boche". Ma garde se termine sans incident mais ces
2 heures m'on paru interminables.

GM
22 octobre 1944
2 heures trente
Une forte explosion suivie du crépitement d'une
mitraillette nous éveillent en sursaut."Alerte"
Tout le monde est à son poste et se prépare à ouvrir le
feu. C'est une patrouille boche qui vient en reconnaissance et qui a lancé une grenade
sur le poste voisin. Bientôt les mitrailleuses entrent en action et à notre tour nous
ouvrons le feu vers l'emplacement désigné. Nous tirons sans arrêt pendant environ 10
minutes, puis le silence revient mais tout le monde reste à son poste. Enfin à 4 heures
l'alerte est terminée et chacun regagne le gourbi. Avec le chef de poste je me rends au
poste voisin pour constater les dégâts. Par chance personne n'a été touché, la
grenade lancé trop court et la rafale au-dessus de la tranchée. En rampant nous nous
rendons là ou se trouvaient les allemands, mais nous ne trouvons rien. Sans doute aucuns
d'eux n'a été touché. Pourtant au retour mon camarade s'aperçoit qu'il a rampé dans
une flaque de sang. Les boches retirent leurs blessés et leurs morts quand ils le
peuvent; c'est le cas cette fois ci. Le reste de la nuit s'écoule sans incidents.
Ensuite pendant deux jours nous minerons le terrain en
avant des postes et des objets métalliques sont placés comme avertisseurs.
13 novembre 1944
Depuis 44 jours nous sommes en ligne et aucune attaque
importante n'est à signaler.
Aujourd'hui la journée semble calme, mais vers 10 heures
on nous annonce que 3 Allemands ont franchi le canal. Aussitôt une patrouille s'en va,
suivie bientôt d'une deuxième dont je fais partie. Bientôt nous arrivons prêt du canal
et nous devons avancer avec précaution. Nous n'avons encore rien vu quand 2 boches suivis
d'un troisième débouchent d'une clairière. Aussitôt nous nous dispersons pour les
encercler mais ils avaient prévu le coup et d'autres nous attendaient. L'un d'entre nous,
caché derrière un arbre est attaqué par un Allemand grimpé dans celui-ci. Il lui tire
les 5 balles de son fusil et notre camarade s'écroule. Le boche se voit pris, saute de
l'arbre et tente de fuir. Un feu continu est ouvert sur lui et à son tour il tombe
frappé à mort. Nous emmenons notre camarade qui ne donne plus signe de vie. Par la suite
nous apprendrons qu'il a été trépané et réformé.
02 décembre 1944
16 heures
Nous sommes au repos cantonnés dans une école de
Fégréac. Nous jouons aux cartes, assis sur la paille, dans une classe où lorsque
c'était la paix l'on s'instruisait des enfants. Tout à coup un camarade entre en coup de
vent en criant :" Alerte
V'la les 240 qui dégringolent." L'artillerie
allemande tirait sur nous. Aussitôt nous sautons sur nos casques et nos fusils puis nous
courrons aux postes abris. On entend les coups de départ des canons suivis du sifflement
de 5 ou 6 obus qui éclatent près de nous. Le bombardement dure quelques heures et l'on
s'en est tirés encore une fois. Le silence revient mais nous sommes toujours sur nos
gardes car un bombardement est généralement suivi d'une attaque de l'infanterie. Les
blessés du bombardement sont emmenés d'urgence à l'arrière. La soirée se termine sans
d'autres incidents. Nous préparons la riposte, qui ne pourra se faire avec des obus de
240 puisque nous n'en avons pas et que les Américains refusent de nous prêter des
canons. Tant pis nous attaquerons à la grenade et au mort
05 décembre 1944
Un adjudant vient nous prévenir que nous allons partir en
patrouille afin de prendre des positions pour la nuit suivante car nous devons faire un
coup de main.
9 heures. La patrouille se compose de 12 hommes
accompagnés d'un sous-officier, d'un adjudant et d'un sous-lieutenant. Nous dépassons
les lignes françaises et l'on se dirige vers les positions allemandes. Nous fouillons
toutes les maisons abandonnées et arrivons près du canal, doù cachés derrière
un talus, nous observons l'ennemi qui ne se doute de rien. De belles cibles mais nous
avons l'ordre de tirer qu'en cas d'attaque. Nous longeons ce canal jusqu'à la route
nationale qui va de Redon à St Nazaire. Une maison au bord de la route constitue le seul
décor. Les boches sont là car de la fumée s'élève de la cheminée. Sans bruit nous
approchons de la maison pour la cerner, mais d'autres boches sont dehors et guettent. Le
lieutenant et l'adjudant s'avancent mitraillette au poing. Un coup de feu retentit et le
lieutenant s'écroule frappé par une balle au ventre. Cachés derrière le pignon de la
maison nous essayons de reprendre l'arme que l'officier a laissé tomber lorsqu'il a été
touché, mais les balles ricochent autour de nous et nous devons renoncer. Nous nous
replions sur l'ordre de l'adjudant qui a pris le commandement. Les Allemands sont très
nombreux et avec un blessé nous ne pouvons nous défendre. Deux camarades soutiennent le
lieutenant inanimé pendant que nous protégeons le repli du blessé. J'essaie de
traverser la route pour surveiller la colline mais cela s'avère impossible à cause des
balles qui sifflent dans toutes les directions et ricochent sur le goudron qui vole en
éclats. Nous réussissons enfin à nous dégager au bout d'une heure et à rejoindre les
lignes françaises. Une chance qu'aucun de nous n'ait été fait prisonnier. Au
cantonnement nous changeons d'effets car ils sont trempés. Un peu de repos et nous
attendons la nuit suivante pour la prochaine patrouille.

Le canal au Pont-Mity de Fégréac où fut
tué le lieutenant Poisson
Quelques jours plus tard (le 10 décembre 1944) nous
apprendrons que le lieutenant est mort la balle l'ayant touché au foie.
30 décembre 1944
Depuis le 15 septembre que nous sommes en ligne on nous
apprend enfin que nous allons être relevés par une compagnie de Limoges. L'après-midi
c'est la relève et nous allons retrouver une vie normale. Le soir à la tombée de la
nuit nous arrivons à Redon où un train nous attend. Une bonne partie de la nuit est
employée à l'embarquement du matériel. Le lendemain vers 9 heures le train part pour
Dinan où nous arrivons à 8 heures à la caserne Duguesclin.
Affectations de Pierre Esnoux
Engagement dans les FFI (Forces Françaises de
l'Intérieur) le 28 juin 1944
Maquis de Langrollay du 22 au 24 juillet 1944
Libération de Dinard et de Saint Lunaire le 15 août 1944
Engagement et affectation au 1er bataillon le 23 août 1944 pour 3 ans à
Dinard
Occupation des côtes sous/secteur de Saint Briac du 06 au 14 septembre 1944
Départ de Dinard pour Saint Malo le 14 septembre 1944
Départ de Saint Malo et arrivée à Redon le 16 septembre 1944
Cantonné à l'école Saint Joseph de Redon :
- garde des ponts et des routes du 16 septembre au 06 octobre 1944
- montée en ligne (Ménigo-Fégréac) le samedi 07 octobre 1944
- aux avant-postes le 21 octobre 1944
- coup de main le 23 octobre 1944
- patrouille de jour (un blessé Goby) le 13 novembre 1944
- en soutien à Fégréac le 19 novembre 1944
- bombardement de l'artillerie allemande le 02 décembre 1944
- patrouille de jour à Mont Mény (un mort le lieutenant Poisson)
- police de la ligne à l'entrée de Fégréac le 13 décembre 1944
- aux avant-postes le 18 décembre 1944
- patrouille de nuit du 24 au 25 décembre 1944
Descente au repos à Dinan (Côtes du Nord) relevé par une
compagnie de Limoges le 31 décembre 1944
Caserne Duguesclin à Dinan du 1er au 15 janvier 1945
Permission du 05 au 10 janvier 1945
Affecté à l'Etat Major du 137ème Régiment d' Infanterie à Rennes le 19
janvier 1945
Ecole Sainte Anne du 16 janvier au 17 juillet 1945
Caserne Mac Mahon à partir du 17 juillet 1945
Dissolution du 137ème Régiment d' Infanterie le 15 novembre 1945
Affectation au 8ème Bataillon de Garde P.G.A le 16 novembre 1945
Détachement à Meucon pour suivre un peloton de sous-officier du 06 janvier 1946 au 30
mars 1946.
Détachement à Meucon pour suivre un stage à l'école des Cadres du 12 avril 1946 au 06
juin 1946.
Affectation au 32 Bataillon d'Infanterie à Angers le 06 juin 1946.
Détachement à Antibes pour suivre un stage de maître-nageur du 05 juillet au 05 août
1946
Mutation du 32ème B.I à l'Unité-Cadre Infanterie Numéro 35 à Caen
Nommé caporal Chef le 1er mai 1946
Nommé Sergent d'active le 1er novembre 1946
Fin de contrat le 21 juillet 1947
Décorations : Médaille commémorative " Guerre 39/45
" avec agrafe " Libération "
Pierre Esnoux est né le 15 septembre 1925 à Saint Lunaire et décédé le 15 juin 1991
à Saint Lunaire

|