Le
général Marcel Allard est né à Fontainebleau le 7 mars 1884, une des
garnisons où son père Louis Allard avait été nommé ; Louis donc, n'était
pas à proprement parler d’une famille de militaires ; il fit sa carrière
dans l'armée, mais un peu par hasard, puisque la conscription à son époque
se faisait par tirage au sort, et il avait tiré, comme on dit : « le
mauvais numéro ». Il fit donc la guerre de 1970 et, sorti du rang, monta
les échelons jusqu'au grade de commandant. Au cours de sa carrière, il
servit à Fougères et à Dol-de-Bretagne. Le jeune Marcel Allard garda un très
bon souvenir de ces garnisons, ce qui explique son affectation à Rennes en
1929, et le choix de Messac pour sa retraite. Dégagé des cadres en 1901,
Louis mourut Le 8 mai 1902 à Dampierre sur salon (Haute-Saône). Sa femme,
Marie, née Quivogne, mourut aussi à Dampierre mais un peu plus tard,
puisqu'elle était présente au mariage de son fils unique en 1907
Ce ne sont pas les Allard qui ont acheté la maison de la
Grève du moulin à Etables, entre Binic et Saint-Quay-Portrieux, mais les
Guillerez, beaux-parents du général. Originaire de Rambervilliers dans les
Vosges, Henri Guillerez était entrepreneur en ferblanterie, adjoint au maire
et conseiller d'arrondissement. Il avait acheté cette maison lors de la
guerre de 14. Les quatre fils de Marcel Allard y passèrent des vacances
mémorables, et tous les Allard enfants et petits-enfants connaissent les
joies de la pêche au lançon. La maison était dépourvue d'eau courante. Qu'à
cela ne tienne : le général qui avait un vrai don de sourcier, détecta de
l’eau sous le rocher qui épaule l'arrière de la maison, creusa un puits
avec l'aide de ses fils et installa une pompe dans la cuisine. C’est sans
doute lors de ses nombreux séjours en Bretagne à partir des années 20, que
le général adopta définitivement l’épagneul breton comme son animal
familier préféré.
Sorti de Saint-Cyr dans les chasseurs à pied, Marcel
Allard avait été muté ensuite dans l’artillerie, où il fit toute sa
carrière. A 23 ans, alors sous-lieutenant en garnison à Rambervilliers, il
fit la connaissance de Marguerite Guillerez, qu’il épousa en 1907.
Combattant en 14-18, en particulier à Verdun et au
Chemin des Dames, il y gagna quatre citations.
Il fut amené à faire l’Ecole de Guerre au terme des
hostilités, et en sorti major en 1921.
En 1929, il était nommé à Rennes. Il eut par la suite
un temps de commandement à Trèves .De 35 à 37, il commandait le 12ème
Régiment d’Artillerie à Haguenau. A l’issue de son temps de commandement, il
fut affecté au Centre des Hautes Etudes militaires.
Le 19 juin 39, il est nommé à Strasbourg pour commander
l’artillerie divisionnaire de la 43ème Division d’infanterie.
Quand la guerre fut déclarée en septembre, il est toujours à ce poste, mais
il est muté à la suite d’un différent avec les autorités « incompétentes »
au 18éme Corps d’Armée à Laon, qu’il quittera le 1er février 40
pour commander l’Artillerie de la 18ème Division d’infanterie
dans les Ardennes jusqu’au 1er juin. « Au cours des opérations
délicates qui se sont déroulées du 10 au 23 mai 40, dit une nouvelle
citation, a réussi à tirer le meilleur parti de son artillerie. Au cours des
combats en retraite, a rallié autour de lui les éléments épars afin de
continuer la résistance ». Son itinéraire alors n'est pas facile à
retracer, car les évènements se précipitent et les ordres venus d’en haut
se télescopent et se contredisent. Il se replie donc fin mai après la
terrible offensive allemande dans les Ardennes et rejoint dans la Nièvre la
17ème D.I. Le 19 juin 1940, il était promu général de brigade à
titre temporaire et le même jour il fut blessé au bras droit par un éclat de
bombe italienne au pont de Cosne-sur Loire dont il organisait la défense.
Evacué à Toulouse et hospitalisé le 21 juin, il ignorait qu’il était
général ; son bulletin d’hospitalisation mentionne donc son grade
antérieur, et sa sortie le 2 juillet sur sa demande. Entre temps, il avait
été nommé à la tête de la 27e division d’infanterie, commandement qu’il ne
put exercer, puisque de Toulouse, il partit à Auch, où il ne resta que
quatre jours. En effet le 6 juillet, le général Weygand lui confie le poste
de commandant d’armes de la place de Vichy. Il le confirmera dans son grade
à titre définitif le 20 août 1940 et il est alors admis au cadre de réserve
des officiers généraux, en vertu de la loi du 2 août 40.
C’est alors qu’il rejoint la Bretagne, d’abord à Etables,
puis à Messac, où il joua le paisible retraité. La maison qu’il vient
d’acheter n’avait ni chauffage, ni eau courante. Mais elle a l’avantage de
surplomber la route qui va au Bourg, le port de Messac, la gare, la Vilaine
et Guipry. Vaste maison familiale, elle mérite bien son nom : « les
Hautes-Folies ».
Difficile de savoir comment il initia ses activités
clandestines en 41 : il le fit si discrètement que certains le critiquaient,
pensant qu’il aurait bien pu faire « quelque chose ». Tout au plus a-t’on
retrouvé une photo de la vaillante équipe de foot qu’il créa cette année
là. C’était un petit début, mais cela lui permettait de prendre des
contacts.
C’est en 1942 qu’il est pressenti par le général
Delestraint pour faire partie de l’Armée secrète en Bretagne. C’est
peut-être en vue de cette prise de fonction qu’il est nommé curieusement
directeur adjoint de la Défense passive à Paris du 1er janvier au
4 décembre 42 : ce poste fictif lui donnant des raisons de voyager. En
novembre, le lieutenant Louis Bourgeais, mécanicien et garagiste à Messac,
qui avait déjà constitué un bon groupe de résistants, se tourne vers lui
pour réclamer son aide. Ce groupe sera rattaché ultérieurement au réseau
S.O.E. du colonel anglais Buckmaster. Le 30 novembre 1942, Marcel Allard
est élevé au grade de Commandeur de la Légion d’honneur.
Pendant l’année 43, la résistance armée vit
le jour. Madeleine, sa belle-fille, arrive à Messac en juin 43, avec ses
deux enfants, après avoir tenté en vain de rejoindre son mari le lieutenant
Henri Allard, muté en Indochine en décembre 40. Le général est déjà entré
en résistance active. Bien inséré dans les réseaux bretons déjà en place, il
est entré dans l’Armée Secrète en mai 43 ; il a reçu le commandement d’une
région, et il est sous les ordres du général Audibert. Multipliant ses
déplacements clandestins, il continue cependant à résider aux Hautes Folies,
avec son épouse Marguerite et la famille d’Henri, jusqu’au 30 novembre 43,
où des sbires viennent l’arrêter mais le ratent de justesse. Le lendemain
matin, ils reviennent et arrêtent Marguerite Allard et Madeleine. Commence
alors pour lui la phase de clandestinité. Au printemps 44, il est muté en
Normandie. Mais il sera rappelé à Rennes après la Libération, et sera nommé
par de Gaulle commandant de la XIème Région Militaire.
(Témoignage
du 16 décembre 2013, de
Florence Allard, sa petite-fille)
Récits de son fils Marcel à
Messac, le 3 août 94
Campagne de France
Colonel en 40, le Père commande une
division. En toute logique, il aurait dû commander un régiment,
mais les lois de cette guerre-là n’obéissaient pas à la logique.
Pendant la Campagne de 40, il se replia des Ardennes sur la
Loire. Là, le combat fut si dur que deux capitaines ont été tués
à ses côtés. Lui-même fut blessé au bras par un éclat de bombe.
Evacué en ambulance, le chauffeur était si fatigué qu’il
s’endormit au volant. L’ambulance versa dans le fossé.
L’évacuation sanitaire fut donc plus périlleuse que la
canonnade. Pour se dégager, l’infirmière de bord donna
d’énergiques coups de pied, malheureusement dans le bras du
blessé. A l’arrière, il y avait deux mutilés, amputés des deux
jambes, et c’est avec beaucoup d’appréhension qu’ils ouvrirent
les portes, se demandant comment ils avaient supporté
l’accident.
Après la défaite et l’Armistice du 22 juin
40, Henri, qui s’était battu sur la Ligne Maginot, et qui avait
réussi à s’évader, retrouva le Père à Vichy en août. C’est à ce
moment que le Père lui parla de son projet d’acheter les Hautes
Folies à Messac pour sa future retraite. Henri n’était pas
d’accord : « ici, nous sommes en Zone Libre, la Bretagne est en
Zone Occupée, on ne se verra plus ! ». Il ne croyait pas si bien
dire.
On ne touche pas au foot
Une fois arrivé à Messac, le Père avait
monté une équipe de foot. Des matchs étaient organisés ici ou
là. L’équipe se déplaçait dans une camionnette bâchée. Un jour,
ils arrivèrent devant un contrôle, le Père descend pour montrer
les papiers, quand soudain il avise un des soldats qui tournait
à l’arrière de la voiture et commençait à soulever un des pans
de la bâche. Il n’était pas du tout souhaitable que les
Allemands constatent de trop près la présence d’une douzaine de
gaillards, jeunes et sportifs. Il cria sur un ton sans réplique
possible : Football, avec une telle énergie que le soldat se
mit au garde à vous et lâcha prise. Il est évident que le foot,
ça se respecte, même chez l’ennemi. Parmi les douze, 2 ou 3
furent résistants.
Arrestations manquées
Dès 43, le Père fut pourchassé par la
Gestapo, et il échappa miraculeusement à plusieurs arrestations.
Un jour, il devait faire une jonction avec une voiture qui
venait de Nantes. Lui-même était arrivé en bicyclette au lieu de
rendez-vous. C’était une grande maison avec une cour à
l’arrière. Il était en train de ranger son vélo dans le fond de
la cour, quand il entendit arriver une première voiture, sans
doute celle qu’il attendait, immédiatement suivie d’une
« traction avant » (15 CV Citroën, couramment utilisées par les
Allemands à cette époque). Il se mit à l’abri dans les W.C.,
dont la porte en bois était percée d’une ouverture. Il assista,
horrifié, à l’arrestation des personnes qu’il attendait.
Laissant sa bicyclette, il ne s’attarda pas dans les lieux, et
se glissant hors de la cour par l’arrière, il se mit à courir,
persuadé qu’il serait abattu d’une minute à l’autre. Il tomba
sur une maison où il entra, et encore sous le choc de la scène à
laquelle il venait d’assister, il se livra aux habitants.
« Voilà qui je suis, les Allemands ne sont pas loin, ils me
cherchent, vous pouvez me dénoncer ».Ces braves gens lui
répondirent : « mais il n’est pas question de vous livrer ! Nous
sommes de votre côté. Ne vous en faites pas, restez là
tranquillement, le temps qu’il faudra, ça va se calmer .C’est
nous qui allons chercher votre bicyclette. »Et c’est ainsi qu’il
put repartir comme il était venu.
Un autre jour, on lui avait aménagé une
cache dans la maison d’une dame qui était dans les bonnes grâces
d’un colonel allemand. Mais il avait du flair, et savait prévoir
comment pouvaient tourner les choses. Il préféra se mettre à
l’abri chez des gens dont le fils était cheminot à Rennes :
comme il était au travail ce jour-là, sa chambre était libre. Il
s’installe, la mère était désolée du désordre, se couche tout
habillé, n’enlevant que ses chaussures, unies entre elles par
les lacets. En pleine nuit, il réveillé par une lueur : il
comprend que ce sont des phares qui éclairent l’allée. Il saute
du lit, chaussures au cou, se glisse hors de la maison dans le
jardin, et se cache à plat ventre sous une ramée de petits pois.
Il avait la tête à trente centimètres des bottes d’un soldat
allemand armé qui surveillait les abords de la maison.
Une autre fois, nous traversions un
village, Père me dit : « ici, ils ont bien failli m’arrêter, je
ne leur ai laissé que mes chaussures, je n’avais pas eu le temps
de les enfiler ».
A Saint Brieuc, bien informés, les
Allemands ont bien cru l’avoir enfin arrêté dans un bistrot :
ils étaient plusieurs autour d’une table, mais ils se sont
trompés de personne.
Embarquements ratés pour
Londres.
On lui avait fait savoir que sa présence
était souhaitée à Londres. L’aviso qui devait l’amener des
côtes bretonnes en Angleterre a été pris dans le brouillard, si
bien qu’il dériva. Au lieu de se trouver à l’endroit prévu, où
le Père attendait avec un petit groupe, pieds nus sur les
rochers en plein hiver, le petit navire de guerre se retrouva
sous le feu des batteries allemandes et il repartit d’où il
était venu. Un mois plus tard, une deuxième tentative fut
tentée, mais échoua de la même manière, en sorte qu’il ne put
embarquer. Cela ne contribua pas à établir des rapports cordiaux
avec le général de Gaulle, qui lui en a voulu : « j’avais besoin
de vous » lui aurait-il reproché, sous-entendu : « vous n’avez
pas répondu à mon attente ».
Agent de renseignements
Voici comme il s’organisait
pour recueillir du « renseignement »: il partait comme
toujours en bicyclette, sur laquelle il arrimait une canne à
pêche. Comme en Bretagne, il y a des petites rivières partout,
il avait toujours un endroit pour tremper son fil dans l’eau ;
et il le faisait en général en face d’un endroit qui
l’intéressait. Il pouvait ainsi observer tranquillement les
choses : emplacements des canons, défenses anti-aériennes, etc.
Sur une carte à carreaux, il notait par exemple : 3
mitrailleuses en B 15, un canon en C 7, et il transmettait ses
relevés à Londres par radio. Un jour, un truc l’intéressait
vraiment, mais il n’y avait ni rivière, ni le moindre ruisselet,
il lança donc sa ligne dans un caniveau, et se plongea dans son
observation, quand soudain il aperçut un vieux qui passait le
doigt sur la tempe, lui signalant qu’il était marteau. |
Dès qu’il put, c'est-à-dire après la Libération en août
44, il se lança dans des recherches pour retrouver sa femme et sa
belle-fille. Il envoya des dizaines de lettres dans divers ministères,
toutes les administrations, à la Croix-Rouge, et à diverses personnes qui
auraient pu les côtoyer. En mars 45, il décide d’aller lui-même en Allemagne
et entreprend les démarches auprès des autorités pour pouvoir quitter
Rennes une semaine, il sollicite des autorisations auprès des Américains, et
des Russes, qui ont déjà envahi le Mecklembourg, région d’Allemagne, proche
de la Pologne et de la mer Baltique où se trouve le tristement célèbre camp
de concentration de Ravensbrück.
C’est en mai 45 qu’il entreprend le voyage, et va
constater la pire des choses qu’on puisse imaginer : sa femme a été
impitoyablement exécutée le 28 février 45. Le motif de cette sanction : elle
était très maigre, très faible et ses cheveux blancs la trahissaient. Quant
au camp, il n’a jamais raconté ce qu’il avait vu à la famille. Mais il fit
un rapport. Madeleine heureusement, revint de cet enfer.
Le général, qui avait accédé au grade de général de
Division en novembre 1944, et devenu Grand Officier de la Légion d’Honneur,
pris sa retraite à 62 ans en février 1946.
Il mourut 20 ans après, dans le Midi, avec les honneurs
militaires.

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Marguerite Allard son épouse |
Madeleine Allard sa belle-fille |
Les sœurs Yvonne et Marie, de la clinique des Augustines de
Malestroit, décorées de la Croix de Guerre par le général Allard |
Sources:
Catherine Fabre et de Florence Allard, petite-filles du général Allard
Témoignage de Raymond Guillard de Lizio (56)
Témoignage de Marcel Allard fils, du 3 août 1994.
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